Chapitre 34

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— Lorsque tu te sentiras prête, ouvre la bouteille et inspire d'une traite son contenu. Mais je dois te prévenir. Il ne s'agit là que d'une aide pour briser un lien. Si le lien est trop fort, l'effet sera temporaire. Tu dois le souhaiter de tout ton cœur.

Rebroussant chemin, le sort en bouteille, cette boule dans sa gorge ne semblait pas vouloir partir de sitôt. La fumée blanche aurait pu l'attirer et même la rassurer. Grâce à ce sortilège, elle pourrait enfin réaliser son rêve.

Depuis sa naissance, elle ne connaissait que la captivité. Et avec sa mère, elle avait souhaité partir, trouver la liberté. On lui avait arraché cet espoir en lui dérobant sa mère.

Enfant, elle avait désespéré l'amour d'un père. Même si elle le savait ne pas lui être lié par le sang aujourd'hui, Whil souhaitait encore cette tendresse entre un père et sa fille. On ne le lui avait jamais accordé.

Les études lui avaient offert un semblant d'indépendance, aussitôt bridé par ce dernier.

La perspective d'un diplôme avait laissé miroiter une chance d'échapper à tout ça.

Vivre une existence sans rien savoir de la peur, si ce n'était celle que chacun connaissait au quotidien. Arriver en retard à son travail, s'inquiéter d'avoir bien fermé sa porte en partant, prier pour que son chiot n'ait pas fait pipi partout en attendant son retour. Ou même se questionner de l'existence des extraterrestres ! Tout, absolument tout. Mais pas de Téras, pas de Ronde. Juste...de la paix. Rien qu'un moment de sérénité.

Tout avait été planifié, à l'exception d'une seule et unique chose : Stanislav.

Le fuir ne fonctionnait pas, il trouvait toujours un moyen de ne jamais être très loin. Et ses instincts le pousseraient à sa recherche en toute circonstance.

Avec ce sort, ce n'était pas seulement elle qu'elle aiderait, mais aussi le démon.

Il pourrait sans aucun doute vivre plus heureux, avec une jolie démone comme lui. Une femme plus confiante, plus forte et plus intéressante. Il pourrait fonder une famille, sans hybride, sans la menace des Idoles pouvant planer au-dessus de sa tête.

Et puis, elle le lui avait bien expliqué. Ce lien était une émotion primitive dont le but originel ne consistait pas à unir deux personnes dans un amour inconditionnel, au-delà de l'amour. Autrefois, la fertilité des tératos était infernale. Deux compagnons destinés n'avaient comme destin que celui de pouvoir concevoir. Il s'agissait d'une compatibilité parfaite entre deux être.

Les compagnons homosexuels existent aussi, se rappela-t-elle comme dans le but de détruire cette découverte historique de la biologie tératos. Mais là encore, elle souhaitait poser une explication. Enfin, elle supposait qu'il y en avait une... Cela ne l'intéressait pas, il s'agissait des découvertes d'autres scientifiques de la Ronde.

Mais concernant la fiole...

— Ne l'utilise pas.

Relevant la tête, Whil fit face à Bibesia. Leya avait levé une arme en avertissement. La menace n'eut pas la réaction escompté. La sorcière descendit du rochet sur laquelle elle s'était installée, lançant un regard noir à la matriarche.

— Je ne suis pas ton amie, écarte-toi de mon chemin.

Les Amazones ne craignaient aucun danger. Et la fierté les poussait parfois à des erreurs. Mais elles restaient intelligentes. En cet instant, Bibesia n'était à craindre que si on souhaitait l'empêcher de rejoindre Whil. Alors Leya la laissa passer.

— Double V, parlons en privé.

Elle se tourna brusquement vers Leya, soupirant sur sa paume pour balancer une sorte de poussière sur le visage de l'Amazone. Leya n'eut que le temps de brandir son épée, préférant attaquer plutôt que de se défendre. Erreur inutile. Bibesia murmura des paroles au sens inconnu. La voix cristalline, surnaturelle, s'enchantait d'un écho ensorcelé.

Au rythme de la nuit 2 - Dansons la CarmagnoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant