Encore touchée par le décès de Jade, sa meilleure amie, Lisa reprend doucement contact avec la vie, les amis, les fêtes, les gens autour d'elle...
La jeune fille remonte la pente et tente de tourner la page.
Un matin que tout annonce ordinaire, alo...
Le lendemain, je me rends en cours le plus normalement possible. Papa n'était pas là non plus au réveil et j'ai la désagréable impression qu'il m'évite.
Je salue Ambre qui a l'air de bien se porter.
- Ça-va ?
- Oui, m'assure-t-elle.
Pendant le long cours de français j'appuie ma tête sur mes bras en regardant les nuages avancer par la fenêtre, une étrange sensation en moi. Je ne sais pas ce qui m'attend. Rien. Le flou, mais bizarrement j'apprécie ! Tout ce qui va m'arriver, sera rempli d'imprévus. Mais j'aime ça, j'aime cette impression, même si elle me fait peur. Je suis complètement contradictoire.
À la récré, Julien vient me parler.
- Je suis heureux que tout se soit bien passé, me dit-il avec un air sincère. Rien de spécial ? Il a prévenu la police ?
J'acquiesce avec un sourire rassurant. Je ne lui ai parlé en détails de mes doutes concernant mon père et des questions qui me trottent encore dans la tête.
- Tout est bien qui finit bien, alors, enchaîne-t-il.
Nouveau hochement de tête.
- Merci pour tout, dis-je.
Les jours suivants, je le regarde beaucoup et il ne me semble pas vraiment plus proche de Romane qu'avant, mais les révélations de Ambre ont comme dressé une barrière entre lui et moi. Imaginer qu'il a pu poser ses lèvres sur celles de ... Stop !
Le troisième soir depuis cette fameuse nuit, papa mange avec nous. À la fin du repas, je suis tentée de lui poser toutes mes interrogations, mais il ne laisse absolument rien paraître. Comme si rien ne s'était déroulé. Comme si aucune bombe n'avait été posée, et quand j'aborde vaguement le sujet, il me répète que ce n'était qu'une blague entre collègue et que tout est réglé. J'ai envie de le croire, de toutes mes forces. Mais j'ai du mal. Je l'ai vécu une première fois. Je sais que cette bombe n'était pas factice. J'ai vu la photo dans son dossier.
- Tout va bien, n'en parlons plus, me dit-il en m'embrassant sur le front.
Je lui rends maladroitement son étreinte.
Alors tout est fini ? Ça y est, ma vie va être normale ? Je peux oublier tous mes doutes et tourner la page ? Mon aventure s'arrête ici, avec un mystère non résolu, mais au moins je suis en vie. Oui, je suis en vie. J'ai réussi, j'ai eu ce que je voulais, non ? Alors pourquoi ce sentiment d'inachevé ? Comme s'il manquait une pièce au puzzle.
Je passe toute la semaine avec cette impression étrange, mais rien ne se passe, la vie reprend parfaitement normalement. Je me suis éloignée de Julien ces quelques derniers jours. Jalousie ?
Je sors deux fois avec Ambre, on ne reparle plus de Lilie-Rose ni de son père. Je sais. Elle sait que je sais. Point.
J'évite Romane et Mathis. Je me replonge dans mes cours et je termine mes rendez-vous avec la psy. La routine se réinstalle. Que demander de plus ?
Un soir, quand je rentre après m'être assise pendant une bonne heure devant Jade, après lui avoir parlé et déballé tout ce que j'avais sur le cœur, je sais immédiatement que quelque chose cloche.
Tandis que je pousse la porte, Maman s'approche à pas feutrés, ses cheveux sont en désordre, ses yeux rouges et elle tient un mouchoir à la main. Je m'arrête net en comprenant qu'il se passe quelque chose.
- Oh Lisa ! Lisa papa !
- Quoi Papa ? questionné-je d'une voix blanche.
J'écoute ce qu'elle me dit, impuissante. Quand les mots atteignent mon cerveau, je m'effondre. « Papa » - « mort ». Noooooon !
Je reste immobile face à la nouvelle. Je ne sens plus mes jambes. L'air me manque et brusquement je me retrouve assise sur le sol.
Des larmes me brûlent les yeux.
J'ai l'impression qu'un déclic se fait au fond de moi. Comme si je venais de trouver la clé qui ouvre une nouvelle porte.
Depuis le début, je me sentais visée, je croyais qu'on tentait de me tuer. Je m'inquiétais, je faisais tout pour empêcher ma mort. MA mort. Pas celle de mon père.
Comment ai-je pu être aussi stupide ? Comment ai-je pu croire un instant que l'on me visait moi ? Comment ai-je pu être si aveugle ?
Je laisse les larmes sillonner mes joues. Je les mérite, je la mérite cette douleur intense Qui se répand en moi. Je prends ma tête dans mes mains et je respire un grand coup.
J'ai tout raté, de A à Z. De Jade à Papa, j'ai échoué.
Le visage de cet homme devant ma voiture s'impose dans mon esprit. Lui. Lui aussi mérite la douleur. La peine. Le désarroi. Lui aussi mérite de souffrir. J'ai soudain une formidable envie que justice soit faite. Une formidable envie de vengeance.
J'ai l'impression qu'on vient de me plonger dans de l'eau glacée, où même directement à l'intérieur d'un glaçon. Je suis figée, tétanisée, mais mes idées, elles, sont claires. Et mon envie de comprendre est intacte. Une chose est sûre, j'y arriverai. Je m'en fais la promesse tandis que les larmes sillonnent mon visage et que la douleur envahit ma poitrine.
Ma bulle, mon cocon a éclaté en mille morceaux. Si brutalement que je ne suis pas sûre de m'en remettre. Si durement que je ne suis pas sûre de me relever. Si violement que je ne suis pas sûre de l'accepter. De pardonner. De me pardonner.
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