Recto-verso

Chapitre 22 : Comment définir le temps ?

- A tout à l'heure ma chérie !

C'est la dernière phrase que j'entends avant de claquer la porte. J'ai l'impression que c'est aussi la dernière phrase que j'entendais en seconde, en troisième, en quatrième, en cinquième... jusqu'aux premières rentrées scolaires. Aujourd'hui, ça me fait presque sourire. Elle a toujours eu ce côté très protecteur mais la mort de papa, ne l'a certainement pas arrangé. À certains moments, je trouve ça presque oppressant, mais à d'autres, comme à cet instant, il met un petit point de chaleur dans mon cœur.

Je ne sais pas combien de fois j'ai effectué ce trajet maison-lycée. Pour la troisième année, je l'emprunte, voilà donc plusieurs centaines de jours que mes pieds foulent le même trottoir, que mes mains effleurent le muret, que je passe devant le panneau ralentir tordu, que mes cheveux s'agitent, que mon cartable balance, que mes yeux naviguent d'un point à un autre.

- Encore dix mois, murmuré-je. Dix mois avant que je change de direction. Mais pour aller où ?

L'année dernière, je pressentais très clairement avec qui je me retrouverais en classe, aujourd'hui, je n'en ai pas la moindre idée. Il y a trois de classes de chaque niveau ce qui laisse une chance pour moi d'être avec Ambre... et avec Julien, se permet d'ajouter ma petite voix insupportable dans ma tête.

Je secoue la tête et tandis que je marche, je songe à mon réveil qui m'a tirée bien trop brusquement d'un rêve étrange. Je ne parviens pas à restituer les évènements, mais je sens que mon père et celui de Ambre étaient impliqués.

- Ça-va ?

Je sursaute et manque d'aller sur la route dans un mouvement de panique.

- Tu avais l'air bien occupée par tes pensées, constate Julien.

- Oui je... j'essayais de me souvenir de mon rêve.

Il hoche la tête calmement. Je vois dans ses yeux qu'il est un peu distant avec moi. Je ne saurais dire pourquoi, mais ça ne me ravit pas. C'est pourtant ce que tu as cherché à faire, me souffle cette petite voix qui commence sérieusement à me taper sur les nerfs.

Il semble attendre quelque chose de ma part mais je reste muette et il finit par s'éloigner. C'est Ambre qui prend le relai, visiblement surprise de nous trouver tous les deux.

- Vous vous êtes réconcili... ?

- Non.

Elle éclate de rire.

- Pas besoin d'être si agressive.

- Tu es allée voir les listes ? questionné-je.

Son sourire s'évanouit aussitôt et elle acquiesce gravement.

- Quoi ? On n'est pas ensemble ?

- Non, dit-elle.

- Et je suis avec...Julien ?

- Non plus.

J'hésite entre sauter en l'air où m'effondrer pour pleurer.

- Je suis seule, constaté-je.

- Je n'ai pas eu le temps de regarder ta liste en entier, il y a peut-être d'autres personnes, tente de me rassurer Ambre.

- Et toi ? Il y a qui avec toi ? demandé-je.

- J'ai quelques amies et puis Julien.

La sonnerie m'évite d'avoir à répondre quoi-que-ce-soit. De toute manière, ma gorge est soudainement devenue sèche.