Chapitre 19 : Nous sommes ridicules

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Mon formulaire est rempli, je peux l'envoyer... enfin, pas vraiment. Il manque un détail, un détail qui a toute son importance. Un détail qui prendrait une demie seconde à réaliser, mais voilà trois jours que je suis bloquée dessus. Un détail pas si facile à gérer puisqu'il ne m'appartient pas vraiment : une signature.

Et ce n'est pas faute de prendre des résolutions, je me dis qu'il faut que j'avance et que ce n'est pas un coup de crayon qui va me bloquer. Pourtant, c'est le cas. Ce petit geste qui pourrait paraître si anodin a pour moi toute une signification. Tout un symbole. Ça prouverait que je passe définitivement...de l'autre côté. Ce ne serait plus simplement que je cache des informations, ça signifierait que je mens.

Agacée par mes réflexions qui tournent rapidement en boucle je me lève, et je sors. En ce moment, mes nerfs sont à vif, j'en ai assez de patienter, de rester cloitrée dans ma chambre, de ne pas pouvoir vivre ma vie de façon insouciante, assez de me prendre la tête...

L'air chaud dehors ne m'apporte pas la bouffée d'air que j'attendais. Il me frappe en plein visage, m'oppressant encore davantage. J'ai arrêté de courir tous les jours depuis que les températures sont montées en flèche et depuis que je suis allée chez Ambre.

Je reste d'ailleurs toujours sur le qui-vive avec mon téléphone, et j'espère bien qu'elle tiendra sa promesse et m'appellera au moindre souci.

Je n'ai pas envie de marcher et de me rendre dans le parc comme souvent. Je préfère m'éloigner un peu. Alors, je monte dans le premier bus qui se présente en direction de la ville. À l'approche des anciens bâtiments et des cafés et restaurants, j'ai une pensée émue et sincère pour Jade. Notre yin-yang, notre association, notre amitié qui a été si précieuse à mes yeux. Notre attachement que nul ne pouvait nier. Nous avons passé tant de temps dans tous ces lieux.

Comme à chaque fois, la culpabilité se resserre comme un étau autour de ma poitrine. J'aurais pu empêcher tout ça, j'aurais pu...stop ! Il ne faut pas que je replonge là-dedans, c'est un cercle vicieux. À la place, je descends du bus et je suis assaillie par le vent chaud qui me balaie le visage. Mes cheveux virevoltent.

Lentement, je me mets à marcher en essayant de ne penser à rien et de seulement me concentrer sur les autres. Je finis par m'assoir sur la dernière marche d'un escalier surplombant une place et je me mets à observer.

Je me revois alors en primaire, assise dans un coin de la cour avec Jade ou Julien, on pouvait passer des heures à regarder les autres, leurs interactions, leurs gestes, leurs façons d'être, leurs attitudes...

Aujourd'hui encore, j'ai envie de le faire. Les minutes peuvent s'écouler, à cet instant-là, je m'en contre-fiche. Un couple passe en se tenant la main. Une femme marche en parlant bruyamment dans son téléphone. Deux petits enfants essaient d'approcher des pigeons, chacun reprochant à l'autre de faire trop de bruit. Trois jeunes déballent un sandwich un peu plus loin. Un chien se promène en...

- Hey.

Un petit cri m'échappe et je sursaute en me retournant pour voir l'origine de la voix. Je m'attendais à n'importe qui sauf à cette personne.

- Désolée, je passais juste par là et... peu importe. Salut.

Étonnée de voir Romane ici, je ne réponds pas tout de suite. Elle doit interpréter ce court silence de travers car elle continue son chemin. Je suis tentée de la laisser s'éloigner. Mais je pense à Jade et à ce qu'elle aurait fait elle, avec son âme d'altruiste.

- Attends ! m'exclamé-je ne rejoignant maladroitement Romane. Je... je vais marcher par là aussi, autant que l'on fasse un peu de trajet ensemble.

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