Chapitre 2 : De...de quoi au juste ?

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J'ai cette sensation désagréable qui devient presque familière. Au réveil, ma tête me lance, la pulsation résonne fort dans mon crane, j'ai la tête lourde d'avoir trop pleuré, les yeux qui picotent mais plus aucune larme n'a le courage de s'en échapper. Je me sens comme une zombie.

Nous sommes dimanche.

Ça fait presque un mois que je n'ai plus remis un pied au lycée, je repoussais ce moment tant redouté. Le lycée et ma mère ont convenu que j'y retournerai après l'enterrement. Soit, demain.

- Je te sers quelque chose ? propose maman, un verre à la main.

J'acquiesce.

- Jus d'orange ?

Nouveau hochement de tête.

Je n'ai même plus envie de parler, que dire ? Quelle discussion peut me paraître intéressante à présent ? Maman tente vainement de faire la conversation, elle ne veut pas perdre le lien qui nous a unis, cette complicité qui était née, ce qu'elle ne sait pas, c'est que de mon côté, ce fil, ce cordon ombilical a été déchiré depuis un mois, depuis que les policiers ont annoncé la nouvelle et le pire, c'est qu'elle n'y peut rien.

Si on imagine la forme physique de notre attachement aux gens, les câbles et fils, les ficelles qui nous relient les uns aux autres, qui nous maintiennent serrées tous ensemble... Et bien c'est comme si brusquement, j'avais pris mes gros ciseaux et je les avais tous coupés un à un, jusqu'à ne plus être retenue par personne, je me suis alors détachée de cet enchevêtrement de toile, d'abord petit à petit puis je me suis éloignée pour de bon, je les ai vu devenir tous petits, et je me suis mise à errer seule à la recherche de... de quoi au juste ?

J'écoute d'une oreille la voix monotone qui sort du poste de radio en mâchouillant sans appétit ma tartine. Je n'avais pas le souvenir qu'avaler pouvait être si désagréable, que le pain avait cette texture si rugueuse, que le miel brûlait ma langue. Je n'avais pas le souvenir de cette pâte qui tournait dans ma bouche sans que j'en fasse quoi que ce soit. Allez ! Inspiration. Déglutition. Expiration. Je peux le faire, je peux avaler ce simple bout de mie.

Voilà. Ma bouche est à nouveau vide.

- J'y vais ! annoncé-je.

- Mais, finis au moins ta ... commence maman.

- Non.

Sa bouche se referme, ses sourcils se froncent, elle semble soudainement perdue.

Je claque la porte de ma chambre derrière moi, mais je regrette aussitôt. Je ne devrais pas être si dure avec maman, elle n'a rien demandé. Pourquoi je ne fais que répandre le mal autour de moi ? Qu'est-ce qui cloche ?

M'acharner contre elle ne me mènera à rien. Mais comment faire autrement ?

Je m'affale sur la chaise de mon bureau et je contemple les objets exposés devant moi. Une trousse, une colle vide, un post-it rempli de gribouillis. Plus loin, mon regard se pose sur le carnet. J'y avais écrit tous mes souvenirs, tous les choses qui s'étaient produites la toute première fois. J'y avais soigneusement couché sur papier la mort de Jade, ma meilleure amie puis l'accident. Tout y était. Pourtant, la vie m'a laissée une deuxième chance et je ne l'ai pas saisie. La vie ne m'a pas envoyée au paradis, elle m'a ramenée une année en arrière. J'avais la possibilité, l'incroyable opportunité de changer les choses. Tout aurait pu être parfait ... mais non.

Non.

Non.

J'ai tout fait de travers. Jade est morte. Je me suis renfermée sur moi-même. J'ai repoussé tout le monde et je ne suis même pas venue en aide à Ambre malgré ses soucis. Tous ces longs mois seule, je pensais et j'étais persuadée que j'allais mourir, que quelqu'un me visait. Que quelqu'un voulait ma mort. Ma mort. Encore une fois, j'avais tout faux. J'ai regardé l'homme placer la bombe sous la voiture, j'ai regardé mon père passer des coups de téléphone, toujours persuadée que c'était moi le centre. Que j'aurais dû mourir.

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