Envie de Disparition

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PDV N :

Partir. Loin. Je n'avais plus le choix. Parce que si ça continuait... j'allais vraiment, cette fois, le trahir et rompre ce que j'avais juré, alors que j'avais tenu tant d'années.
Tu as fait le bon choix, N...
- Ray... pourquoi ?
Parce qu'elle est mienne.
- Je ne la veux plus.
C'est ce que tu dis, certes, N. Pas ce que tu penses, ni ce que ton coeur hurle.
Je marchais dans la rue, mains dans mes poches vides, à penser.
Rêver était vraiment mauvais ? C'était dommage pour moi.
J'avançais en trainant les pieds, mais j'avais beau à me cogner à tout ce qui traînait et à avoir mal, rien ne me tirait de ma réflexion. Chaque miroir reflétait un visage neutre, le mien, et des yeux verts, mais le verre les rendaient plus clairs. Il reflétait aussi des cheveux de la même couleur. J'avais sous mes yeux effrayés et impressionnés à la fois le poids de ma ressemblance frappante avec Ray.
C'est aussi ce qu'elle voit en toi. Vois. Admire ce reflet. C'est moi.
- Non. Nous sommes différents... pas vrai ?
Pas pour elle. Tu es un substitut, N.
J'appuyai sur le haut de ma casquette pour me couvrir et me cacher des reflets et accélérer le pas.
Devais-je partir ? La question tournait en boucle dans mon esprit tel un disque infernal rayé ( NDA : comme un disque de Jul xD ok je sors )
Le problème qui m'était imposé était un désir. Un désir qui, à ce moment là, me dévorait. La revoir empirerait les choses. Alors pourquoi ne pouvais-je pas m'empêcher d'imaginer ses larmes tomber lorsqu'elle apprendrait mon départ ? Son sourire quand elle me verrait pour la dernière fois sans le savoir ?
Ce seront des larmes qu'elle versera pour moi. Encore.
- Et si c'était moi, Ray ? Et s'il suffisait d'y croire pour courir le monde ? Et si...Et si...
Ne te fais pas d'espoirs, mon vieux. Tu ne mérite même pas son sourire. Te voir la fait souffrir.
Les larmes commençaient à arriver, je le sentais. J'en avais besoin. Mais j'avais aussi peur de ce que la voix de Ray chuchotait à mon oreille. C'était la foutue mélodie de ce disque abîmé. Mélodie qui résonnera à jamais en moi, peu importe mes efforts. Je le savais mort. C'était la culpabilité de sa mort, la haine envers lui.
Car la vérité était bien plus horrible que ce qu'elle paraissait.
Du point de vue de Touko, nous nous étions rencontrés cette soirée fameuse où son amie était chez elle, soirée des un an de la mort de son ex, mon frère.
La vérité était toute autre.
Cela faisait bien plus longtemps que moi, je la connaissais. Bien plus longtemps que Ray.
J'en étais tombé amoureux bien avant lui.

{ FLASHBACK }

C'était une soirée ensoleillée qui pourtant était fraîche avec la pluie tombante de la matinée. Je rentrais du lycée, elle du collège. Nous avions le même arrêt de bus.
Ray avait un an de plus que moi, soit deux ans de plus que Touko. Tous les soirs... je la voyais, devant son bus, soit en train de lire, soit à parler. Pour certains, c'était être un psychopathe mais moi... je voulais simplement pouvoir continuer à la dévorer ainsi des yeux autant de temps que je le souhaitais. Ses cheveux bruns au vent, et son sourire magnifique que quelquefois elle m'adressait quand du coin de l'oeil elle m'apercevait, manteau relevé sur ma bouche avide d'air frais.
Je fus épris d'elle après une simple et courte discussion. Simple, mais l'attirance était trop présente loin déjà, alors lui parler avait déclenché un déclic. Déclic qui me fut fatal.
Peu de temps après, mon frère avait eu la bonne idée de fouiller mes affaires, où son nom, « Touko » était écrit en lettres d'argent, d'une écriture complexe que j'avais mis un temps fou à réaliser.
À côté, enfermé dans une petite boîte rouge entourée d'un ruban blanc d'une matière soyeuse se trouvait un beau collier avec une ambre, prêt pour son anniversaire. Collier que par ailleurs j'avais également confectionné moi même après des instructions d'une bijouterie.
Mais je n'eus jamais retrouvé ma boîte et son présent.
Je n'eus donc jamais l'occasion de lui donner... mais la réalité...
C'était que c'était Ray qui lui avait donné.
Je m'en rendis compte une semaine plus tard, quand il alla la voir. Lui parler. Je fus d'abord surpris de leur complicité alors qu'ils ne se connaissaient pas peu auparavant... et mon coeur se brisa quand je vis son collier.
C'était le mien. Celui que j'aurais dû lui donner.
Deux mois plus tard, j'eus appris qu'ils sortaient désormais ensemble.
Pire, elle croyait que cette discussion que l'on avait eue n'était pas avec moi : elle ne savait même pas que j'existais.
Elle pensait que c'était Ray, ce jour là.
Les voir s'embrasser, se toucher, s'aimer tout simplement m'était tout bonnement insupportable. Ces discussions ensemble, ces disputes, ces éclats de rire... je ne faisais qu'être à côté, silencieux, continuant une mascarade sans fin. Continuant d'afficher un sourire faux dès qu'il me montrait leurs photos de couple, de leurs différents rancards, des lieux que j'avais écrit dans mon carnet pour un jour m'en servir et l'inviter. Je restais sur ma position : elle n'apprendrait pas mon existence. Et de toute manière, il était bien trop tard.
Mais... ç'aurait dû être moi, à sa place. Moi qui l'invitait, l'embrassait, riait.
Et le temps passait,
La haine prenait place,
Mais je n'en l'aimais pas moins.
Le sentiment le plus abject que j'eus ressenti en plus de cette jalousie folle et cette tristesse qui me détruisaient à petit feu...
C'était du soulagement le jour où j'eus appris son décès. Et ce sentiment que j'avais eu...
il me répugnait.

{ FIN FLASHBACK }

Je suis tes doutes. Ta colère. Tes angoisses. Tes peurs. Si je te parlais de tes travers là, maintenant, tu ne pourrais plus me faire taire.
- Ray... non...
Admets-le, frère ingrat. Admets avoir pensé, avoir imaginé, ce soir là dans ces foutues attractions, la sensation de ses lèvres sur les tiennes. De sa peau sur la tienne. De la chaleur qui s'en émane. De la douceur de ses cheveux.
Admets avoir oublié un instant avoir été monstrueux, avoir eu ces pensées. Avoir oublié mon existence. J'ai vu ce que personne n'a pu voir. Et ce que j'ai également vu... c'est l'horreur dans tes yeux quand tu as vu qu'elle portait toujours le collier que tu as passé des jours et nuits entiers à confectionner, tout en imaginant sa réaction. Sourire, timidité, rapprochement ? Veux-tu que je te la décrive ? Dois-je te rappeler que c'est moi qui y ai assisté ?
- ARRÊÊÊÊÊTE !!!!!!!!!

Genou au sol, les mains sur mon crâne. Mes yeux clos pleuraient tout ce qu'il y avait à pleurer.
Cela faisait tellement longtemps que je me contenais. Tellement longtemps que mes cris avaient été étouffés dans une carapace.
Les gens me regardaient comme un fou, un fou à interner. Un fou qui avait envie de partir. Loin. Loin de ce calvaire.
Monstre.
- Je suis désolé...
Redis-le encore... N.
- Je suis désolé...
Désolé de quoi, dis-moi...? Raconte tout à ton cher ami qui n'est même plus de ce monde. Dis-moi tes envies cachées. Dis... que tu es insensible et horrible.
- JE SUIS DÉSOLÉ ! PARDON... pardon...
Alors écoute ta raison. Écoute ce sentiment d'infériorité. Pars. L'envie ne t'apportera que... moi. Mes remarques invisibles que pourtant tu entends, enfermé dans ta solitude et ton dégoût de toi-même. Sans moi.... tu n'as plus rien pour t'accrocher.
J'avais beau nier...
Cette voix dans ma tête avait raison. Il me fallait partir, loin d'elle, loin du souvenir de Ray. Loin de mon coeur qui, j'en étais certain, allait rester ici, dans cette ville.
Mais...
M'accorderait-on le droit de, rien qu'une dernière fois, la revoir ? Me laisserait-on lui sourire, juste pour cette fois...?
Peut-être pour lui faire parvenir que j'existais, moi aussi.
Grossière erreur.
- Tais-toi...
Ne viens pas te plaindre après... N.

Le coeur à L'ouvrage Où les histoires vivent. Découvrez maintenant