I - 3. Vers l'inconnu

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Isabella se réveilla bien avant l'arrivée de Maria - la domestique - ce jour-là, mais elle ne s'assit pas à la fenêtre comme d'habitude. Elle était trop impatiente... Comme le hasard faisait bien les choses, Mme Garcías choisit ce jour pour sortir faire une course et ne rentra pas avant la fin de la journée. Pourquoi les choses disparaissaient toujours lorsqu'on avait besoin d'eux ?

Dehors, de lourds nuages gorgés de pluie s'amoncelaient. Le soleil était déjà bas dans le ciel quand, enfin, une voiture se gara dans l'allée. La petite fille, qui guettait depuis le déjeuner, bondit à sa rencontre.

— Madame, je me demandais si... commença-t-elle, mais elle s'interrompit en voyant le regard de la gouvernante. Bonsoir, avez-vous fait bon voyage ?

— Mon voyage fut correct, je vous remercie, minauda la vieille dame en portant son sac jusqu'à l'entrée.

Isabella dut trottiner pour se maintenir à sa hauteur.

— Je me demandais... reprit-elle.

Elle ne savait pas vraiment comment aborder le sujet.

— P-pour être honnête, bredouilla-t-elle alors que Mme Garcías se débarrassait de son imperméable, j'aimerais connaître certaines choses à propos de ma mère et... Eh bien, je ne connais personne d'autre pour me répondre que vous...

La gouvernante se tourna pour la première fois vers Isabella et la toisa d'un regard indéchiffrable. Derrière son dos, la fillette se tordait les mains d'anxiété.

— Je suppose qu'il est naturel de vouloir connaître ses origines, lâcha la gouvernante après un long silence.

Elle se dirigea vers son bureau. Isabella soupira de soulagement et lui emboîta le pas.

— Que voulez-vous savoir ? demanda la gouvernante de sa voix sèche.

La petite fille souhaitait surtout connaître le moyen de se rendre dans l'autre monde – s'il existait réellement - mais ce ne furent pas les mots qui jaillirent de sa bouche.

— Comment mes parents se sont rencontrés ?

Les talons de Mme Garcías claquèrent rudement les marches.

— Il me semble que c'était à un quelconque événement mondain... Ils ne se sont plus quittés après ! Cette « Lian » venue de nulle part rendait fou M. d'Alvar, je me souvi-

— Mais ne se sont-ils pas disputés ? demanda Isabella en repensant à la lettre qui reposait dans le coffre.

Mme Garcías lui jeta un regard en coin et la fillette craignit qu'elle ne l'interroge sur la manière dont elle avait appris cela.

— « Se disputer » serait un euphémisme dans ce cas-là, jeune fille. De toute ma mémoire, on n'avait jamais vu ça au manoir d'Alvar. C'était terrible. Votre mère s'était enfermée dans sa chambre et refusa d'en sortir des mois durant ! Un comportement puéril, si vous voulez mon avis, je-

— Pourquoi ? interrompit Isabella.

— Cessez de me couper la parole, mademoiselle Isabella ! Pour répondre à votre question, nous avons appris par la suite que la pauvre enfant portait une maladie. Quelle chance elle a eu que M. d'Alvar soit présent pour la prendre en charge, pesta la gouvernante en ôtant ses gants. C'est d'ailleurs ainsi qu'elle s'est tuée ! Sortir par la fenêtre, par une nuit si froide... Dieu seul sait ce qu'il lui est passé par la tête.

Isabella se força à l'écouter sans l'arrêter, pourtant elle avait tant de choses à dire ! Premièrement, sa mère n'était pas morte, elle avait fui... par la fenêtre, manifestement ? Ensuite, elle n'était pas certaine d'apprécier le ton condescendant qu'empruntaient la gouvernante. Isabella avait l'envie coriace de prendre le parti de sa mère.

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