Isabella compta une minute. Ingrid ne revint pas. Elle ne revint pas plus lorsqu'elle eut compté deux minutes, ni trois... Mais après tout, la jeune femme ne lui avait pas donné d'indication de temps précise. « Je reviens tout de suite » ne se limitait peut-être pas à trois minutes.
Pour ce qu'elle en savait, Ingrid pouvait bien être absente pour vingt minutes. Peut-être même trente ! Isabella soupira. Qu'est-ce qu'elle allait bien pouvoir faire ? Les activités dans ce salon étaient relativement limitées. Elle jeta un coup d'œil vers le couloir. Il y avait une fenêtre de l'autre côté.
"Ne bouge pas", avait dit Ingrid.
Elle ne bougerait pas, elle se déplacerait juste de quelques mètres ! La fillette s'extirpa du fauteuil à frange et sautilla vers la sortie.
Elle se trouva face à une flopée de fenêtres larges et ornementées. Isabella se rendit compte qu'elle était déjà passé par là la veille, accompagnée du soldat, Markdon. C'était dans cette partie du Palais qu'un homme était venu les chercher pour les conduire auprès du roi Tahalanor. Elle constata avec ravissement qu'elle commençait à se repérer dans l'éminent bâtiment !
À travers les vitres, on pouvait percevoir les bruits de la foule. Isabella jouissait d'une vue plus élargie de la ville que dans la chambre ou elle avait dormi. Des tas et des tas de toit de maison s'étendaient sur le sommet de la colline avant de descendre en cascade sur son flanc. La petite fille savait que de l'autre côté du Palais se trouvait la maison du Portalier et le portail lui-même. Erzik semblait donc se déployer dans une plus grande mesure de ce côté-ci. Les habitations n'avaient pas l'air de disparaître avant la ligne d'horizon.
Elle sursauta en percevant des bruits de pas et des clic-cloc de bâtons venir dans sa direction. Était-ce Ingrid qui revenait ? Isabella n'était pas supposée être ici !
La fillette ne perdit pas de temps et regagna le fauteuil dans le cabinet. Les mains croisées sur les genoux, elle attendit l'arrivée de la jeune femme comme si de rien n'était... Mais bientôt, elle distingua des voix, et ce n'étaient pas celle de la servante.
— Je te le répète : j'ai posé la question à Sihimanus et il est formel sur son espèce ! Qu'elle soit ou ne soit pas une Ouahali ne change rien !
Il s'agissait d'un timbre féminin empreint d'un trémolo agacé.
— Je sais, je sais, marmonna un homme d'un son grave, rauque. Et ne crois pas que je remets en cause l'expérience de Sihimanus dans ce domaine. Mais cette situation est une première en plusieurs milliers d'années. Peut-être dans l'histoire entière du Rikdoménèl !
À ce moment, les deux individus s'avancèrent devant l'entrée du salon, à portée de vue d'Isabella. La fillette se raidit jusqu'à la pointe de ses cheveux. Elle reconnaissait cette lourde cape rouge et cette chevelure argentée : la voix de l'homme n'appartenait à nul autre qu'au roi Tahalanor.
Ce dernier parlait avec une femme au moins aussi agée que lui. Elle marchait avec dignité et, le menton levé, pila juste devant l'ouverture de la pièce. Isabella déglutit, mais la femme ne tourna pas la tête dans sa direction ; elle regardait le roi.
— Et donc ? persifla-t-elle.
— Et donc parfois il est nécessaire de contourner les obligations, pour le bien commun !
Le roi fit volte face, dos au regard d'Isabella, et alla s'accouder au rebord d'une des fenêtres.
— La loi est la loi Tahalanor ! C'est ainsi depuis des millénaires et ça ne changerait pas aujourd'hui !
Isabella put apercevoir le visage furibond de la femme un bref instant avant qu'elle n'aille rejoindre le roi à la fenêtre, en face du salon. Elle portait au front le même symbole de lotus et d'étincelle que son interlocuteur, et, alors qu'ils se défiaient du regard, le bleu presque fluorescent de leurs sceptres similaires - une longue perche d'or sertie d'une pierre de la taille d'une main ouvert - se refléta dans leurs yeux.
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Erzik
FantasyDu haut de ses huit ans, Isabella est plus seule que jamais. Son père, impitoyable, lui interdit presque tout. Il vient juste de renvoyer sa tendre nourrice ! La fillette ne sait plus où trouver du réconfort. Un soir, pourtant, en fouillant dans un...