I - 11. Maison d'ivoire

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Isabella ne reçut aucune réponse. Elle poussa le battant.

La lumière violette de la nuit qui s'abattait sur le lit lui permit de voir Nozikaa profondément endormie, le bras gauche au-dessus de la tête et une jambe pendant vers le sol.

— Euhh... Nozikaa ? murmura-t-elle en refermant la porte. Nozikaa, Réveille-toi !

Très peu à l'aise, elle lui secoua l'épaule. La jeune Nartiz ouvrit un œil.

— Isabella ? grommela-t-elle, les paupières papillonnantes. Qu'est-ce que tu fais ici ?

En s'agenouillant devant le lit, la petite fille lui chuchota qu'elle avait quelque chose à avouer.

— Vraiment ? C'est quoi ?

Toute trace de fatigue venait de disparaître dans le regard avide de Nozikaa. Isabella se tortilla les doigts sur ses genoux, se demandant une dernière fois si elle faisait le bon choix.

— Je... En vérité, je...

Bon sang, ce que c'était dur à dire ! Que devait-elle dire, d'ailleurs ? Les mots butaient dans sa gorge.

— Mais encore ?

— Ben... En fait, je viens de la Terre.

Elle s'était attendue à des cris, des mouvements dans tous les sens, des exclamations choquées, à une explosion de questions ; Nozikaa n'en fit rien. Les yeux plissés, la tête penchée, elle articula :

— Développe.

La fillette ouvrit la bouche mais rien n'en sortit. Elle baissa la tête, respira une ou deux fois, et enfin les phrases se formèrent dans son esprit. Alors elle raconta tout. Son ancienne vie en Espagne dans le manoir de son père, sa nourrice, le jardinier et Mme Garcìa, la découverte de la cave, du coffre et de ses trésors, le ruisseau du Passeur, la chaleur au fond de son cœur, et puis le portail, et Markdon, et la calèche, et le roi. Elle lui parla de sa mère Nartiz, de son père humain. Elle lui rapporta la conversation du roi et de la reine, avec leurs sceptres brillants, sa fuite du Palais, le renvoi d'Ingrid qu'elle avait surpris en haut de la tour. Une fois qu'elle eut commencé, rien ne put l'arrêter. Elle n'était pas sûre d'avoir jamais autant discouru dans sa vie.

Nozikaa ne l'interrompit pas une seule fois - et elle lui en fut reconnaissante - mais lorsque Isabella eut entièrement vidé son sac et que Nozikaa ne prononça toujours pas un son, elle pria pour que la Nartiz s'exprime. Cette dernière semblait plongée dans une profonde réflexion.

— Ça explique beaucoup de choses, décréta-t-elle finalement.

Son visage s'illumina. Elle bondit sur ses pieds.

— Et c'est absolument super incroyable ! Je n'en reviens pas ! Alors toute cette histoire de malformation n'était qu'un mensonge ? Et moi qui pensait que tu étais juste un peu stupide !

— Eh bien, je n'ai jamais vraiment dit que j'avais une malformation... Tu l'as assumé toute seule.

— Vraiment ? Mince.

Isabella songea qu'elle aurait pu s'excuser au passage de l'avoir appelée "stupide" une bonne dizaine de fois dans la journée. Nozikaa parcourait sa chambre de long en large en marmonnant des paroles incompréhensibles.

— Et je comprends mieux pourquoi tu pleures tout le temps (elle releva la tête). Tu n'es qu'un bébé !

— Je ne suis pas un bébé, protesta Isabella, vexée. J'ai huit ans !

— Précisément. Mais c'est vrai que vous, les humains, vous ne vivez pas longtemps. On en a parlé à l'école. Alors c'est vrai que vous mourrez à 40 ans ?

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