I -17. Izidor

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Le manoir ne manquait pas à Isabella. Pas du tout. En revanche, elle se languissait de mélanger des choses. Elle pratiquait cette activité peu commune depuis qu'elle était en âge de tenir une fiole et avait passé des heures cachée dans la maisonnette de pierre décrépite au fond de la propriété à fabriquer des mélanges de tout et n'importe quoi.

Un jour, elle avait voulu goûter ce qu'elle avait préparé. Elle n'y avait pourtant mis que des choses comestibles ! De l'eau, des fruits, beaucoup, beaucoup de curry... La pauvre enfant avait été malade et alitée toute la semaine. La fois d'après, elle avait fait avaler son mélange aux épines de pins au chat errant qui venait la voir, parfois. Quelques jours plus tard, le pelage gris du félin avait attrapé de drôles de reflets verts. Isabella ne se l'était jamais expliqué.

Elle se souvenait qu'avant de partir, elle s'était mis en tête de fabriquer un liquide de chaque couleur pour faire un arc-en-ciel dans son petit atelier. C'était une affaire sérieuse : elle avait en plus décidé de produire des mélanges de la même texture !

Mais Isabella n'avait jamais pris le temps d'achever son travail.

Nozikaa lui rabâchait sans repos que c'était dans son sang, ce désir de faire des potions. "C'est ton instinct de Ouahali !". Isabella commençait à la croire. Après tout, elle ne parvenait pas à imaginer une chose sur Terre - ou sur n'importe quelle autre planète, d'ailleurs - plus gratifiante que de créer une mixture et de découvrir qu'elle faisait repousser les cheveux, qu'elle effaçait la mémoire, qu'elle soignait les maux de ventres où qu'elle permettait de comprendre les langues étrangères (quelques exemple de l'utilité des potions que lui avait donné Lioski).

Le Palais parut à Isabella encore plus vaste que les deux premières fois. Ses jambes ne la firent pas moins souffrir lorsqu'il fallut grimper les marches de l'Exclusive. C'était le nom de la tour qu'occupait l'atelier des Ouahalis. Elle se dressait, imposante, à droite de l'entrée du Palais.

Après l'école, Isabella et Nozikaa avaient englouti leur repas avant d'y accourir. Le pouls d'Isabella continuait de s'emballer dès qu'elles croisaient un soldat en uniforme bleu, mais ça allait mieux. Elle s'efforçait de se souvenir qu'elle était difficilement reconnaissable avec ses prothèses.

Elles arrivèrent devant la porte de l'atelier. Au-dessus de leurs têtes, plusieurs corridors suspendus dans les airs reliaient la partie à leur droite et la partie à leur gauche. Isabella n'avait pas fait attention, la première fois, mais la porte était cintrée, lourde, noire et décorée de moulures en argent. Elle ne s'apprêtait manifestement pas à entrer dans n'importe quelle pièce.

— Bon bah voilà, fit Nozikaa. Je t'attends dans l'aile militaire. Tu me raconteras, hein ?

— Tout, dans les moindres détails.

Nozikaa sourit.

— Que la Bonne Fortune t'accompagne ! s'écria-t-elle avant de dévaler les marches en sens inverse.

Seule sur le palier, Isabella inspira un grand coup. Pas question de paniquer, cette fois. Elle était forte, elle était courageuse.

Elle toqua.

Sa motivation nouvelle ne l'empêcha pas d'envisager sérieusement et plusieurs fois de faire demi-tour en attendant qu'on lui ouvre. Le panneau se déroba avant qu'elle n'ait pu esquisser un pas.

— Salut !

Une femme se dessina dans l'entrée. Elle lui ressemblait, c'était indéniable. Pas tant dans les traits du visage, mais dans les lèvres, de l'exact même noir, et dans les cheveux couleur corbeau – bien que les siens soit courts et s'entortillent en boucles serrées.

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