I - 18. Les yeux dans le noir

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La calèche soubresautait sur les pavés. Les larges pattes aux griffes taillées du dione qui la tirait commençaient à fatiguer : le trajet était long. Mais il valait la peine.

Izidor allait retrouver sa mère.

Dans l'habitacle, Nozikaa papotait en continu mais Izidor ne l'écoutait pas. Son esprit était ailleurs.

Comment Lian réagirait-elle ? Serait-elle surprise ? Assurément... Heureuse ? Izidor l'espérait. Qu'allait-elle bien pouvoir lui dire ? Elle n'y avait jamais réfléchi et le temps lui manquait. "Bonjour, comment se passe votre journée ? Au fait, je suis votre fille, Izidor. Vous me remettez ?"

Elle secoua la tête.

La veille, Edeï avait été adorable une fois qu'elle lui eut révélé l'adresse de sa mère et le nom qu'elle lui avait donné.

— Je veux que tu te mettes bien ça en tête, lui avait-elle dit. Je serais toujours là pour t'aider. D'accord ? Tout de même, la fille de Lian...

La vieille Ouahali lui avait même proposé de rester avec elle dans sa maison, mais Isabella avait poliment refusé. Elle avait déjà un refuge. De plus, Edeï habitait au Palais dans une annexe de l'atelier ; autrement dit, pas l'idéal.

La petite fille aurait aimé lui poser d'autres questions sur sa mère, mais la Ouahali en chef l'avait pressé :

— Aller, hop, hop ! Finalement, il vaut mieux que tu t'en ailles... Si tu restes ne serait-ce qu'un diiiiiixième de période ici, je ne pourrais jamais résister à la tentation de tout raconter à ta mère ! Et plus vite tu t'en va, plus vite vous serez réunies. En rooouute, il n'y a plus de temps à perdre ! Ça va être les retrouvailles du millénaire !

Izidor avait souri. Elle avait serré un peu plus fort le bout de parchemin avec l'adresse de sa mère dans le creux de sa paume.

Edeï l'avait accompagnée jusqu'à l'aile militaire, côté est, là où Nozikaa était supposée la retrouver. Il avait été très étrange de sortir de l'atelier. Izidor avait eu l'impression d'émerger d'un rêve, d'un espace-temps au-delà de la réalité. Elle aurait juré que ce n'était pas une après-midi qui venait de s'écouler, mais une éternité.

Nozikaa l'avait rejoint en bondissant et la fillette s'était sentie un peu coupable de ne pas avoir eu une pensée pour son amie de tout son temps dans l'atelier.

— Alors ? Comment c'était ? avait demandé la petite Nartiz avec nonchalance, mais Izidor avait bien remarqué qu'elle mourrait d'envie de tout savoir.

— C'était...

Elle n'avait trouvé les mots pour le décrire. L'après-midi, et même la journée tout entière qu'elle venait de passer... C'était, sans aucun doute, le jour où elle en avait appris le plus sur elle-même. Elle était quasiment devenue une autre personne !

Izidor avait fini par déclarer :

— Ça te dérangerais de m'appeler Izidor à partir de maintenant ?

Et aujourd'hui, elle allait voir sa mère.

Durant toute la soirée, Lioski et Parki avaient bafouillé chaque fois qu'elles souhaitaient l'appeler : les deux femmes avaient fini par ne plus l'appeler du tout. Izidor, en fin de compte, avait découvert que changer de prénom n'était pas aussi facile qu'il n'y paraissait. Elle prenait toujours plusieurs minutes avant de réaliser quand quelqu'un s'adressait à elle... Mais elle ne regrettait pas son choix. Au contraire. En laissant Isabella derrière elle, elle s'éloignait un peu plus de son père et se rapprochait un peu plus de sa mère.

La seule qui n'avait aucun problème avec la re-nomination d'Izidor, c'était Nozikaa. La fillette ne s'était pas trompée une seule fois.

— Pour tout te dire, avait-elle avoué le lendemain, lors de leur trajet pour se rendre à l'école, je préfère Izidor à Isabella. Ça te va mieux.

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