I - 10. Une histoire de robes

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Si les chambres se situaient juste au premier, il fallut aux fillettes s'enfoncer profondément dans les couloirs pour atteindre celle de Nozikaa. Elles galopèrent, mais leurs pas furent étouffés par les lourds tapis qui parcouraient la demeure. Isabelle ne voyait pas grand-chose d'autre que des portes car les abords des longs corridors s'estompaient dans l'obscurité.

— Nozikaa ? Que faisait ta mère avec ses oreilles avant qu'on ne quitte la pièce ?

Nozikaa ralentit et se mit à marcher à reculons.

— Sérieusement ? Sérieusement, tu n'es même pas au courant de ça ? Ça, c'est vraiment stupide ! Enfin, j'imagine que ça te concerne pas vraiment, avec tes oreilles toutes déformées.

— Alors, qu'est-ce qu'elle faisait ?

— Elle parlait avec mon père. Tu sais, la communication à distance.

— Vous pouvez parler par la pensée ?

Isabella avait du mal à la croire.

— Oui, bien sûr.

— Et toi, tu peux le faire ?

— Non. Pas encore (elle soupira). On l'apprend seulement à l'école supérieure.

— Et quand est-ce que tu iras à l'école supérieure ?

— Quand j'aurais cinquante-cinq ans.

— Quand tu auras quoi ? demanda Isabella, qui crut dans un premier temps qu'elle avait mal entendu.

Mais Nozikaa venait de se retourner, juste à temps pour prendre un couloir perpendiculaire. Isabella commençait à comprendre que les Nartiz vivaient beaucoup plus longtemps que les humains. Elle s'interrogea sur le nombre d'années qu'elle - Isabella - était supposée vivre, étant donné qu'elle était un peu des deux.

Nozikaa ouvrit enfin une porte. C'était une porte massive, lourde, avec des gravures et des dorures. Isabella fit un pas dans la chambre.

Voilà une porte qui reflète parfaitement ce qu'elle dissimule, songea-t-elle aussitôt.

La pièce n'était pas aussi grande que la pièce à vivre un étage plus bas, mais elle faisait au moins trois fois la taille de sa propre chambre au manoir. Isabella remarqua, dans l'angle du fond à gauche, une large fenêtre qui s'étendait de quelques centimètres au-dessus du sol jusqu'au plafond. La fenêtre donnait sur la rue qu'elle venait de descendre - deux fois d'affilée -, encore pleine de monde. Au loin, derrière le trou que formait la Grande Place, les tours du Palais s'élançaient dans le ciel baigné d'une lumière orangée.

Le reste de la chambre, illuminé par le soleil couchant, se rapprochait de tout ce dont Isabella avait toujours rêvé. Il n'y avait pas d'ordre, de meubles bien carrés, de placards bien rangés ni de draps bien tirés... Ou plutôt, il semblait y en avoir eu, à un moment donné, mais la tornade de vêtements s'étant abattue sur la pièce rendait cela difficile à voir. Les robes s'éparpillaient dans tous les coins, jetées à la hâte sur le monumental pupitre en bois, entassées sur le tapis ou pendouillant du coin de l'étagère. Malgré tout, Isabella repéra un lit gigantesque adossé au mur du fond, s'apparentant plus à un énorme oreiller moelleux débordant de plumes, d'édredons et de coussins, ainsi qu'un généreux miroir à pied reposant tranquillement dans l'ombre. Il reflétait la penderie, laissée ouverte dans la précipitation et qui menaçait de s'écrouler sous les robes de milles et une couleurs que Nozikaa possédait.

Isabella remarqua au sol un instrument de métal qui se rapprochait fort d'un ciseau. Elle devina que Nozikaa l'avait utilisé pour entailler chacune de ses robes. Cela avait dû lui prendre sacrément longtemps !

ErzikOù les histoires vivent. Découvrez maintenant