Un Conte d'Antan

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Il était une fois, il y a fort longtemps, un peintre qui vivait seul dans un immense manoir.

Lassé de cette solitude, le peintre décida un jour de se marier. De nombreuses femmes de tous âges et de toutes conditions souhaitaient l'épouser, car il était jeune et riche. Le peintre refusa chacune de ses prétendantes : il désirait, plus que tout au monde, une femme qui l'aimerait véritablement.

Alors qu'il s'apprêtait à abandonner ses recherches, le peintre rencontra une jeune demoiselle. C'était la créature la plus magnifique qu'il eût jamais vu. Ses cheveux d'ébène apparaissaient aux yeux du jeune homme aussi soyeux que l'esquisse d'un trait au fusain. Sa peau diaphane n'avait d'égale que la douceur du ciel pâle des matins d'hiver. Ses lèvres, sombres et envoûteuses, ne demandaient qu'à être goutées.

Le peintre tomba sur-le-champ follement amoureux d'elle.

Il l'invita dans son château. Les deux jeunes gens firent connaissance. La douce jeune femme apprécia beaucoup cet homme raffiné, à la conversation intéressante et au rire facile. Ils passèrent des semaines à papoter de tout, de ce dont on a envie de papoter lorsqu'on a vingt ans et qu'on est amoureux.

Le peintre fit d'elle son inspiration, sa muse. Il aimait la peindre sous tous les angles et sous toutes les lumières. Chaque jour, il la portrayait, et chaque jour, il la trouvait encore un peu plus belle que la veille. Lorsque le soleil se couchait, il l'aimait davantage.

Oui, leur idylle aurait pu être parfaite, si la curiosité ne comptait pas parmi les défauts du peintre. En effet, la demoiselle ne discourait jamais sur son passé ni son enfance. Elle référait au lieu de sa naissance en balbutiant : "là d'où je viens"... Et le soir, elle buvait une étrange liqueur dont elle ne laissait personne s'approcher.

Le peintre lui demanda quel en était le contenu.

"Un remède, répondit-elle, mais sans le regarder dans les yeux. Il vient de chez moi. Personne ne doit en boire, car il est néfaste si on en ingère la mauvaise quantité."

L'homme hocha la tête, mais il doutait de la véracité de ses propos : la jeune femme qu'il aimait tant ne portait, à sa connaissance, aucune maladie. Elle lui cachait donc quelque chose.

Or, le peintre avait horreur du mensonge.

Il se mit à l'observer dans chacun de ses mouvements, l'épiant à longueur de journée, la faisant suivre lorsqu'elle sortait, repassant en boucle dans son esprit chaque chose qu'elle prononçait. Et puis un soir, les efforts du peintre portèrent leurs fruits ; ce qu'il découvrit dépassa de bien loin ce qu'il avait pu imaginer.

Ce soir-là, donc, le jeune homme, dissimulé derrière une porte entrouverte, observait sa dulcinée dans le reflet d'un miroir. Elle brossait ses longs cheveux. Attentif, il scruta la glace de la coiffeuse, quand il eut un mouvement de recul : l'image montrait, de chaque côté de la tête de la femme, de grandes oreilles pointues jaillissant de sa chevelure charbonneuse ! Le peintre cru d'abord à l'œuvre du Malin. Tremblant, il lâcha pied. Le bruit alerta la demoiselle qui se retourna vivement. Il découvrit avec stupeur que ces étranges oreilles longues et creuses n'existaient pas seulement sur son reflet.

Frayeur, incompréhension, honte, se succédèrent sur le visage de la demoiselle, et puis soudain, le soulagement effaça tout.

"Qu'es... Qu'es-tu ? hoqueta le peintre.

— Si tu savais comme je suis soulagée, confia-elle, à présent sereine. Je haïssais devoir te mentir."

C'est ainsi qu'elle lui livra son secret. Elle lui parla de là d'où elle venait, un monde tout à fait différent. Elle lui raconta sa vie là-bas en tant que fabricante de potion, elle lui raconta son arrivée dans cette contrée, son espoir de dénicher de nouveaux ingrédients pour ses mixtures. Elle lui expliqua la nécessité de boire cette potion pour conserver son apparence humaine. Elle narra son passé pendant des heures.

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