II - 14. "Ça va ?" est une question idiote

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PRINCIPE N° 14 : "ÇA VA ?" EST UNE QUESTION IDIOTE

***

Les bruits lointains du Palais traversaient les longs couloirs vides comme des esprits d'une autre réalité, mondaine, inatteignable. Nozikaa se trouvait à des années-lumière d'eux.

Le banc était froid ; elle ne le percevait pas. Pas plus qu'elle n'entendait l'écho des conversations ni qu'elle ne voyait le tapis aux poussières flottantes sur lequel son regard était rivé. Il semblait que son corps l'avait porté jusqu'au banc avant de s'éteindre.

Elle réalisa à peine que quelqu'un s'asseyait à ses côtés.

— Hey.

Son père.

Nozikaa releva la tête et sentit son cou grincer. Depuis quand demeurait-elle là ? Son sens du temps l'avait quitté en même temps que tous les autres.

Ozaharta fixait le sol, les coudes sur les genoux, les mains jointes. Nozikaa attendit qu'il parle.

— Je suis désolé, dit-il après un long moment.

Il se redressa et leurs yeux se rencontrèrent.

— Je suis tellement désolé.

— ... Comment... Qu'est-ce que je fais maintenant ?

Ça lui arracha la gorge, et Nozikaa compris qu'elle n'avait pas posé cette question depuis des années, ni à autrui ni à elle-même. Son père lui attrapa les épaules et articula tout proche, d'un ton presque urgent :

— Tu le regardes. Tout ce pétrin, tu le regardes bien en face et tu ne le laisses pas te détruire. Tu m'entends ? Tu es plus forte que ça. Si tu dois aller là-bas, très bien ; enferme tes sentiments ; va là-bas, mais ne reviens jamais en arrière. Toujours de l'avant, d'accord ? Toujours.

Nozikaa hocha la tête, déglutissant avec difficulté.

— S'il y a une personne capable d'affronter des tempêtes, des batailles, un exil, c'est toi. Il faut juste que tu t'en souviennes. Connais-toi toi-même, Nozikaa. Connais-toi. Et tant que tu t'en souviendras, rien ne pourra t'atteindre.

Il haussa de ses doigts le menton de sa fille.

— Et maintenant... Maintenant, tu te lèves. La tête haute. Tu marches droit, et tu va prouver à tout le monde l'étendue de ton courage.

Nozikaa se raccrocha aux yeux de son père, à ses paroles, comme à la dernière corde d'un pont qui venait de s'effondrer. Il enveloppa alors ses bras immenses autour d'elle et elle enfouit la tête dans son cou, les paupières closes, les sourcils froncés. L'étreinte s'intensifia. Nozikaa sentit la grande main d'Ozaharta sur ses cheveux.

— Tout ira bien, affirma sa voix, percée par la douleur. Tout ira bien.

*

— Te voilà ! lança Sihimanus alors que Nozikaa avait à peine posé un pied hors de la calèche.

Il dévala les marches du large perron à sa rencontre. Les trois soldats accompagnant la jeune fille se positionnèrent à ses côtés, leurs lances hérissées de piques bien en vue. Nozikaa les ignora. Elle leva la tête pour saisir l'entièreté du bâtiment dont son oncle venait de sortir. Le Département des Affaires Terriennes. C'était un bel édifice aux volets pourpres sur plusieurs étages devant lequel elle était passée de nombreuses fois, puisqu'il se trouvait dans la ville-haute, au sud du Palais. Elle n'avait cependant jamais visité l'intérieur et jamais cru le visiter un jour. En dehors des histoires d'Izidor, elle se préoccupait de la planète Terre autant que des bestioles sous les pavés sur lesquels elle marchait.

ErzikOù les histoires vivent. Découvrez maintenant