I - 21. Le procès

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Izidor sentit une brise lui soulever les cheveux. C'était étrange, l'air glissait sur ses oreilles et s'infiltrait à l'intérieur. Elle n'avait plus l'habitude de cette sensation.

Les sensations. Voilà qu'elles se multipliaient. Izidor perçut une douleur vive à l'arrière de son crâne et une autre, plus estompée, au ventre. Ses cils reposaient sur ses joues ; elle avait les yeux fermés.

Elle perçut ensuite la surface dure sur laquelle elle était allongée - sauf sa tête. Sa tête reposait sur quelque chose de mou. Une main appuyait sur son épaule.

Tout se balançait inconfortablement de gauche à droite.

La brise porta un cheveu sur son front et il vint lui chatouiller le bout du nez. Quelqu'un - une âme charitable, sans doute – rabattit le cheveu là où était sa place. Izidor décida d'ouvrir les yeux.

Elle regretta immédiatement son choix. Dès que sa vue fut rétablie, tous ses autres sens se réveillèrent. Elle entendit le grincement des roues d'une charrette. Des personnes qui parlaient à voix basse. Les pas lourds et les reniflements d'un dione. Elle huma l'odeur du bois, de la pluie récente, et un léger parfum de prihis. Elle sentit sa langue pâteuse dans sa bouche desséchée.

Avec les sens revinrent peu à peu les souvenirs. D'abord les vieux : elle qui pleurait dans la cave, elle qui parlait avec la gouvernante, elle qui passait le portail ; ensuite, les tous récents : les bals, Martariéna, Féltèr, les soldats.

La douleur sur son crâne se fit plus vive.

— Ouch, marmonna-t-elle.

— Oh, enfin, tu es réveillée. Je commençais à me demander si j'allais devoir gérer tout ça toute seule. Enfin, je veux dire, j'en serais capable, techniquement, mais c'est plus amusant à deux.

Izidor leva les yeux. Nozikaa, était penchée sur elle, la tête à l'envers. Ses cheveux coupés au carré formaient une auréole autour de son visage.

— T'as bien dormi ?

— ...Quoi ?

La tête d'Izidor reposait sur les genoux de Nozikaa. Elle se redressa ; encore une très mauvaise décision. Son dos la fit souffrir, des centaines de lumières blanches détériorèrent sa vision et la douleur sur son ventre (qui provenait sûrement du coin de table qu'elle s'était pris) se raviva. La fillette eut l'impression d'avoir cent ans.

Si la désinvolture de Nozikaa l'en avait fait douter un instant, un regard autour d'elle confirma à Izidor qu'elle ne rêvait pas. Elle se trouvait dans une petite charrette ouverte et en marche, entourée de soldats qui marchaient au pas. Izidor aperçut Féltèr en tête du convoi. Les étoiles scintillaient, mais elles n'avaient jamais paru aussi loin à Izidor que cette nuit-là. La fillette dut se concentrer pour reconnaître la large avenue qui conduisait à la Grande Place ; ils se rendaient au Palais.

— Oh mon Dieu ! murmura-t-elle.

— S'il te plaît, ne t'évanouit pas à nouveau, marmonna Nozikaa.

— Que s'est-il passé ?

— Ça ne se voit pas ? Comme tu ne reprenais pas connaissance, ils nous ont balancé là-dedans.

— Oh non... Oh non, oh non !

— Surtout souviens-toi de respirer.

Izidor s'efforça au calme

— Mais qu'est-ce qu'on va faire ?

Nozikaa haussa les épaules en même temps que la charrette bifurquait sur la Grande Place. La silhouette pointu et menaçante du Palais se découpa sur la lueur de la planète aux anneaux. Izidor se dit qu'elles n'auraient pas pu se retrouver en plus mauvaise posture. Aucun des parents de Nozikaa ne savait où elles étaient et elle ne pouvait penser à aucun moyen de les prévenir. Personne ne viendrait les sortir de là. Elle eut envie de pleurer.

ErzikOù les histoires vivent. Découvrez maintenant