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(Changement de PDV: Sacha, la sœur)

Le bruit mat de mon corps qui s'écrase au sol semble se répercuter dans chacun de mes os. Ma tête se fracasse sur le sol sans me faire perdre conscience, les bruits étouffés des éclats de voix des six adolescents qui nous ont entraînés ici se transforment en bourdonnement. Un long râle rauque s'échappe de mes lèvres.

- Oh putain ! Les mecs, elle est vivante !

J'entrouvre difficilement mes paupières, une douleur sourde pulse dans mon crâne. La première chose que j'aperçois, c'est une jeune fille brune, un trait d'eyeliner provoquant sous les yeux, répéter inlassablement le mot « merde », son corps est arqué en avant et ses yeux écarquillés.

« Merde, merde, merde, merde, merde, merde... »

Je parviens, au prix d'un immense effort, à tourner la tête. Aussitôt, mon souffle se coupe, mon front bute contre une grande tige de métal, vestige des fondations en béton armée du bâtiment. Ma tête aurait pu s'empaler là-dessus, songeais-je, comme une perle qu'on glisse sur un fil, sauf que moi, je n'ai pas de trou dans la tête.
J'inhale la poussière du sol terreux et mon corps est secouée d'une violente crise de toux, suivi une douleur frappante au niveau de mon ventre, et d'un bruit de succion dégueulasse.

J'entends des exclamations étouffées derrière moi et quelqu'un semble être en train de fondre en larmes. Je sens quelque chose de chaud couler le long de ma joue, sans doute un filet de bave. Ma main vient machinalement l'essuyer comme si l'on pouvait encore faire bonne figure dans cette situation.
Lorsque ma main entre en contact avec le liquide poisseux, je me crispe. Peut-être aurais-je dû comprendre plus tôt ou bien est-ce la terre que je tenais responsable du goût métallique qui m'envahit la bouche. Et comme pour le confirmer, je regarde ma main, maculée de sang.
Un long gémissement de terreur s'échappe de ma gorge.

Une masse s'écrase à mes côtés.

- Je suis là Sacha, chuchote mon frère.

Il y a du sang sur son visage, et des contusions apparentes gisent par-ci et par-là. Une plaie béante strie son bras.

- Je suis là, répète-t-il.

Un fort chevrotement dentèle ses paroles, lui donnant l'impression d'être sur le point d'éclater de rire, de se laisser submerger par une rage dévastatrice ou de fondre en sanglots.
Mes doigts tâtonnent mon ventre avec fièvre, j'ai du mal à reprendre mon souffle. Le monde autour de moi explose quand ma main se referme sur la tige métallique qui perce de mon abdomen.

- Vous autres, hèle Sacha, passez-moi votre téléphone.

Les adolescents semblent enfin réagir, repus du spectacle morbide qu'ils contemplent, une expression de profonde terreur se peint sur leurs traits. Le bruit de leurs chaussures tapant contre le sol résonne quand ils prennent lâchement la fuite.
Mon frère laisse échapper une flopée d'injures tandis que ses mains viennent recouvrir les miennes en tentant de comprimer la plaie. Sous mes doigts, je sens mon sang chaud imbiber mon tee-shirt.

- Sacha, commence mon frère en essuyant mes larmes, je vais devoirs aller chercher de l'aide. Tu comprends ?

J'essaie de faire fi de la peur qui amplifie ma douleur. Les lèvres de Sacha tremblent, et son visage se contracte par intermittence quand il essaie de retenir ses pleurs.
J'halète, et mes larmes redoublent.

- N-ne me l-laisse pas.

- Sacha...

- N-non ! Si tu me laisses seule ici,  je promets que je ferai en sorte de me vider de mon sang !

La menace semble faire mouche, mon frère sait que je suis quelqu'un de parole. Il darde son regard voilé de larmes contenu sur ma personne, et je dis :

- Tu vas me lever, je ne resterai pas embrochée là-dessus une minute de plus.

- Tu ne peux pas faire ça !

- H-ha oui ? Je m'étrangle, et p-pourquoi ?

- Parce que tu vas te vider de ton sang.

- N-Ne discute pas, on fera un garrot !

- Sacha, soupire-t-il alors que son front se plisse.

- S'il te plaît Sacha, je n'y arriverai pas sans toi.

Je le vois se mordre la lèvre, il serre des poings et finis par acquiescer. Ses mains viennent se glisser sous mon dos et mes jambes. Ses pieds se plantent solidement dans le sol, et je m'accroche à son épaule.

Il me soulève.

Je sens mon corps glisser le long de la barre métallique, j'ai l'impression qu'on m'arrache les intestins. Chaque frottement est une torture.
Je lâche un long cri de douleur, noyé dans un gargouillis sanglant.
Mon corps se disloque de douleur, je sens à peine la terre entrer à nouveau en contact avec mon dos. Je me noie dans mon propre sang. Sacha me tourne sur le côté, et je suffoque à nouveau.

Le monde tourne, il se mélange. J'ai froid. J'ai peur.

Une douleur déchirante s'empare de mon ventre. Je me cambre en avant, mon frère panique. Mes ongles tentent d'arracher la douleur, je crie. Mes doigts pénètrent la plaie, je n'en veux pas, j'ai mal, alors je griffe, j'arrache.
Mon frère saisit mes mains, il m'immobilise. Il me crie quelque chose. Mais j'ai mal, j'ai tellement mal.

Et puis, plus rien.

Je sens sa main palper mon ventre. Puis sa voix s'élève dans l'entrepôt devenu silencieux.

- Sacha, il n'y a plus rien.

Sacha et SachaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant