12.

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(Sacha, la sœur)

Je ne comprends pas grand-chose à ce qui vient de se passer à l'instant, tout s'est déroulé très vite, exécuté comme un mécanisme bien huilé où toutes les pièces ont leur importance et s'imbriquent parfaitement dans la masse.

Le garçon que j'avais bousculé m'a saisi brusquement par le bras, pour me relever de la chaise et m'entraine maintenant dans le tumulte de corps qui se dirige vers la sortie.

J'avais été surprise de le croiser aux côtés de mon frère, et un peu gênée même : aux dernières nouvelles il ne m'appréciait pas.

- Mais lâche moi ! je tente de lui crier.

C'est vain, il règne une agitation trop dense pour que quelqu'un puisse communiquer normalement.

Où est Sacha ? Je ne veux pas le perdre, ne serait-ce que de vue, pas après l'avoir enfin retrouvé.

- Sacha !

J'ai beau crier, tout est englouti. J'ai l'impression de me noyer, pas d'être oppressée, le décor a été effacé et il ne reste plus qu'une masse grouillante de corps en mouvement.

Lorsque nous débouchons dans une salle plus vaste, c'est une délivrance. L'espace jaillit soudainement autour de moi, comme une profonde impression de vide déséquilibrante.

- Ah, dit simplement ledit Félix en lâchant nonchalamment mon bras, Tu n'es pas Sacha.

Il m'horripile déjà ! Je vais l'étrangler, ce n'est pas possible.

- Sans blague, t'es bigleux où quoi ?! je lui crie vivement, Je sais que je ressemble à mon frère mais y'a des limites !

Il hausse simplement un sourcil qu'il double d'un regard inexpressif, puis il tourne résolument les talons et s'enfonce dans la foule sans plus aucun regard pour moi. Nous sommes tous calfeutrés dans une pièce de béton gris à l'éclairage bancal, mais qui paraît très solide. C'est comme si nous nous trouvions dans un monde à part, une fracture de l'espace, de la réalité, où même l'air est immobile.

- Eh ! Attends, tu vas où ? je m'écrie en le rattrapant brusquement.

Il se retourne tout aussi rapidement et m'attrape par le col de ma blouse.

- Bon écoute, déclare-t-il d'une voix tranchante en resserrant sa poigne, Je n'ai vraiment pas l'habitude de m'accabler de parasites. J'ai déjà fait une exception pour ton frère mais faut pas exagérer !

C'est à mon tour de le fusiller du regard. Je me dégage de sa poigne et lisse ensuite ma blouse d'un geste hargneux.

- Maintenant, je rétorque, c'est à toi de m'écouter ! Rester ici jusqu'à la fin de mes jours – si je survis – c'est clairement pas dans mes projets, et de ce que je peux en voir, on est dans la même galère alors autant s'entraider pour avoir une chance de se barrer d'ici !

Il paraît surpris mais se reprend rapidement.

- Tsk, tu ne survivrais même pas une semaine.

- On parie ?

- Très bien, soupire-t-il, Suis-moi.

Il me guide au travers de la foule qui s'éclaircit, beaucoup se sont assis tandis que d'autres préfèrent rester debout. On peut voir différents groupes se former peu à peu, dans une masse désormais hétérogène.

Un petit garçon se cogne subitement contre mes jambes et retombe au sol dans un bruit de « pouf ». Ses yeux s'embuent aussitôt de lames qui dégoulinent sur ses joues juvéniles rondes et rosées. Alors que je commence à paniquer (car on me connaissait comme un répulsif à bambins), le gamin se remet brusquement sur pied et court vers Madeleine au fond de la salle en criant « Mamaaaan ! » à pleins poumons. Madeleine le réceptionne dans ses bras et le cajole tendrement. Il y avait, tout autour d'elle, une multitude d'enfants, les plus jeunes d'entre nous, assis contre ses jambes ou autour d'elle, cherchant désespérément son attention.

Sacha et SachaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant