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Sacha (la soeur) :


Sacha.

Les mains contre mon cou, je frissonne, il y a ces dix doigts froids qui tripotent nerveusement mes joues. Mes joues. Mon cou. Mes doigts. Mon nez tout en long, aquilin entre deux rangées de cils qui convulsent comme deux ailes de papillon, et ma bouche gercée qui rappelle à elle une eau ignorée. Je ressens le besoin de toucher, de me réapproprier moi-même. Et ce menton est-il toujours le mien ? Ces dix doigts sur ma bouche, contre qui vont-ils retourner leur griffes ?

Sacha.

Sacha.

Sacha.

Qui ? Sacha.

Lequel ?

Sacha.

Oui, Sacha.

Et ces deux bras maigres, ce torse creux sur deux jambes branlantes, même pas foutue de rester droite et debout. Mes bras, mon torse, mes jambes. J'ai retrouvé mon corps, est-il toujours le mien ? Il est revenu « à moi », mais je me sens tout de même dépossédée, comme si on m'avait tout pris, comme si chacun de mes mouvements résonnait dans le vide pour chuchoter qu'ils étaient doubles. Pas vraiment à moi.

Je ne sais pas ; j'ai cette effroyable sensation de solitude, où est Sacha ? Mais je ne veux pas le voir, mon corps doit rester le mien, je crois que j'en crèverais, que je me perdrais totalement et que plus rien ne sera à moi; que tout semblera se dérouler au loin tandis que mon corps est volé, dépossédé, violé et que ce n'est plus moi; mais qui est moi et si je perdais à nouveau si je le perdais encore je deviens folle si ce n'étais plus moi que j'étais perdue au fond de moi même seule et dépossédée. Me chercherais-tu ? Sacha ?

C'est si terrible, mes pensées vont vite, trop vite, mais même si je te hais, Sacha, je t'aime. Et j'ai besoin de toi. J'ai les cordes vocales qui vrillent et ma voix quitte son verbiage modéré lorsque je hurle :

- Je vais t'empêcher de dormir, enfoiré !

Je me redresse un peu face à la porte et recommence à crier.

- Je sais que tu m'entends ! Rends moi Sacha ! Rends moi mon frère, salaud !

Sacha. Sacha. Reviens.

- Ouvre cette putain de porte !

Cette fois, je frappe contre la porte, je martèle mes mots comme pour les rendre plus vivants, plus puissants et plus méchants. Je continue de crier, je dois faire quelque chose, même battre du vent, tant que ce n'est pas attendre tout simplement.

- Rends-moi Sacha !

Je ne peux pas penser que ce n'est pas la faute de Timothée, j'ai besoin d'un coupable facile, naturellement haïssable pour toujours pouvoir justifier ma haine indue. Je profite de pouvoir lui reprocher mon mal être et ma souffrance pour le haïr d'avoir perdu Sacha. D'être seule. Putain de solitude.

- Sacha, se brise ma voix.

À la solitude s'ajoute le sentiment effroyable de l'abandon, j'ai soudainement la nausée et ma gorge si sèche se serre pour m'empêcher de pleurer. La boule dans ma poitrine grossit et déborde jusqu'à mes lèvres d'où elle s'échappe sous forme d'un petit râle plaintif de chien abandonné. Pourtant je ne parviens pas à pleurer, je dédierais mes larmes à ma solitude plutôt qu'à mon frère et cette idée me révulse.

Quelle jumelle atroce je suis, incapable de pleurer son jumeaux, recroquevillée dans le noir étouffant d'une pièce enfermée, si impuissante, si seule, si triste. Davantage préoccupé par son corps dépossédé et ses états d'âmes que par son jumeau enlevé, et si... et si jamais... et si jamais, pensais-je les mains sur le visage pour l'empêcher de tomber en morceaux, et si jamais... tout se finissait comme... comme pour...

Sacha et SachaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant