Jeanne
En sortant de la porte numéro 235, qui était relativement éloignée des autres chambres, Jeanne su qu'elle avait réussi à éprouver les nerfs de l'ours qui dormait là-bas (enfin, s'il dormait).
Elle avait aussi réussi à vexer ses deux petits mutants de compagnie, de drôles de zigotos qui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau avec seulement quelques différences dans la forme. Elle avait encore un sourire collé au visage lorsqu'elle repensa à cette idée stupide d'évasion, mal aux côtes aussi et l'impression d'avoir fait trois heures d'abdos intensifs.
Pourquoi n'arrêtait-elle pas d'y penser ?
Tout était calme dans les couloirs, il n'y avait jamais personne et tout le monde rentrait toujours à pas d'heure. Timothée était la seule valeur sûre, il vivait constamment dans sa chambre et c'était même à se demander s'il arriverait à se nourrir sans elle. Elle le considérait (déjà, il y avait considération) comme une compagnie à défaut. C'était bien la seule personne de son âge ou presque qu'elle pouvait côtoyer, même si c'était un connard. Elle n'avait pas vraiment le choix, hormis jouer la coursière, s'occuper dans les cuisines, travailler quelques fois avec ses parents ou épier l'étage très chic au-dessus, elle tournait vite en rond.
Jeanne déposa son araignée, Betty, sur son épaule et la dissimula derrière quelques mèches de cheveux. Avoir une mygale de compagnie dans un laboratoire clandestin ce n'était pas non plus la meilleure idée du siècle, alors mieux valait éviter de faire savoir qu'une bestiole à huit pattes et aussi grosse que sa main se baladait dans les couloirs.
Ses pattes velues chatouillèrent son cou et elle frissonna, Betty s'était attachée à elle plus rapidement que quiconque dans l'univers froid et aseptisé de son existence. Elle était née ici, et pour tout dire elle espérait ne pas y mourir.
Jeanne vivait dans les quartiers de ses parents, deux chambres, deux bureaux, une salle de bain et un salon. C'était son monde et son quotidien.
Elle arriva dans le couloir long et lisse qui donnait accès à tous les appartements des médecins, chercheurs et scientifiques, et tout au bout, le réfectoire avec son indispensable machine à café. Elle sortit ses clefs en arrivant devant la porte au numéro 88 métallisé sur son battant. En l'ouvrant, l'odeur de remugle la saisit à la gorge, c'était une flagrance épaisse et pesante qui l'enveloppa toute entière. L'odeur de la maison.
- Je suis rentrée.
Sa voix lui revint comme un écho du vide. La maison était morte et éteinte, sous le plafond bas, on aurait pu jurer sentir les relents d'une quelconque présence fantomatique. Jeanne se dépêcha d'allumer et de refermer la porte derrière elle.
Sur la table, on avait laissé un mot à son intention, comme si cette petite note gribouillée à la va-vite pouvait combler sa solitude.
« Ne nous attends pas pour manger, il y a du gâteau dans le frigidaire. N'oublie pas de prendre tes médicaments. À demain.
— Bisous, maman. »
Factuel, comme toujours. Jeanne froissa la note dans sa main et la jeta au travers de la pièce. Elle se sentait triste, mais refusait d'avouer sa faiblesse.
- Aller vient, Betty, chuchota-t-elle en caressant l'araignée du bout du doigt, on va manger ensemble ce soir.
Jeanne se dirigea vers sa chambre, mais un sursaut d'hésitation la fit revenir sur ses pas. Elle ouvrit le petit frigidaire qui ne servait qu'occasionnellement, et encore, seulement pour stocker quelques éprouvettes ou solutions lorsqu'il n'y avait plus de place ailleurs. Au milieu de ce frigo vide, il y avait un gâteau industriel emballé dans du plastique, une savane jaune et brune, dont la surface si lisse semblait artificielle. Jeanne referma violemment la porte du frigo et la machine trembla.
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Sacha et Sacha
Teen FictionSacha et Sacha sont jumeaux. Ils partagent tout, leur nom, comme leur histoire. Un père inconnu, une mère qui les surprotège, des déménagements soudains et répétés. Rien de très inhabituel. Mais un jour qu'ils essayent de sympathiser avec les élèves...