10.

74 5 7
                                    

Sacha (la sœur)

J'ai perdu conscience de la réalité, je crois que je rêve ou que je divague, je ne sais pas. Il n'y a plus de repère, j'alterne entre de courtes périodes de conscience et d'hallucinations, c'est infernal. J'ai l'impression d'être prisonnière de mon corps, spectatrice de la décadence furieuse de la réalité.

J'ai vu maman. Je l'ai vu en face de moi, elle me regardait encore et encore, de ce regard pénétrant qui nous transperce de part en part. Puis elle a chuté, son corps s'est effondré tel une vulgaire poupée de chiffon sans vie, baignant dans son sang écarlate. Est-ce finalement l'enfer ?

Je la voit tomber, un nombre incalculable de fois et à chaque fois je veux hurler, je pleure de rage et d'impuissance. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Le sang qui s'échappe de son corps en une nuée de désespoir, telle l'agonie silencieuse de son dernier souffle, prend peu à peu la forme arborescente de mon frère, du noir corbeau de ses cheveux au vert de ses yeux. J'ai le sentiment de le voir réellement en face de moi, impuissance impossible de distinguer la réalité dans ce monde opiniâtrement clos, tortueux de méandres insondable telle l'abyssale profondeur de l'esprit.

Sacha !

Je suis allongée sur quelque chose de dur, c'est la première chose dont je reprends conscience, mon corps est faible, comme s'il avait été démodelé entièrement. Bouger me provoque des élancements douloureux dans tous mes membres et lorsque j'essaye de rouvrir les yeux, j'ai l'impression que ceux-ci me brûlent. Ma gorge est aussi sèche que du parchemin, déglutir me fait l'effet de mille lames qui écorchent ma trachée.

Je gémis, par défaut de pouvoir parler, et aussitôt, une main vient délicatement me soulever la tête pour pourvoir m'hydrater.

- Bois moins vite.

Je ne sais pas où je suis, ni combien de temps je suis restée inconsciente dans la cuve, mais je sais que je n'y suis plus. Quand je parviens enfin à ouvrir les yeux, je remarque immédiatement que je suis dans une salle blanche mais sombre, elle est grande, et contient de nombreuses couchettes en bois superposées les unes aux autres, avec un pauvre bout de tissu rembourré censé servir matelas.

- Ce sont les dortoirs.

Je me redresse difficilement en gémissant, surprise par la voix qui s'adresse à moi. C'est la rousse que j'ai croisé plus tôt, avant d'entrer dans les cuves. Elle est penchée sur moi, un verre vide à la main, ses cheveux retombent en cascade devant son visage et lui donnent un air mélancolique.

- Tu te souviens de moi ? Ne t'inquiète pas si tu ne t'en rappelle pas, on est toujours un peu secoué après un premier passage aux cuves.

Je hoche lentement la tête, sans la quitter des yeux, puisqu'elle évite sciemment mon regard.

- C'est bien.

Elle a un spasme et un petit sourire nerveux, je remarque qu'elle parle doucement, comme si elle avait peur de s'affirmer. Puis enfin, elle prend une grande inspiration et me fixe droit dans les yeux.

- Tu peux m'appeler vingt-deux, je serais une sorte de « tuteur » qui veilleras sur toi le temps que tu t'acclimate à ton nouvel environnement. Si tu as n'importe quelle question, n'hésite pas !

- Où suis-je ? C'est quoi tout ça ? je demande aussitôt.

Elle baisse le regard.

- Tu le sauras bien assez tôt.

J'esquisse un faible sourire pas vraiment surprise par cette réponse insatisfaisante, et découvre le reste de mon environnement. J'observe plusieurs autres enfants sur les couchettes, uniquement des filles, certaines son inertes, couchées avec lassitude quant à certaines, elles ont encore assez de force pour discuter entre elles, faiblement. Beaucoup ont leur regard planté sur moi.

Sacha et SachaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant