Interview

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Patricia repousse une mèche brune derrière son oreille et regarde la caméra par en dessous, à travers ses cils.

— Pourquoi avoir choisi le Centre ? La question est difficile...

— Prenez le temps qu'il vous faut.

Elle sourit au grand reporter.

— Merci. En premier lieu je pense que c'est le Centre qui m'a choisi, qui nous a tous choisi. On était nombreux à poser notre candidature et finalement nous sommes quoi... vingt-quatre en tout ? Après... si j'ai choisi de postuler c'est parce que j'étais désespéré. J'ai...

Elle lance un regard sur le côté vers Agnès qui hoche la tête, hors caméra. Patricia reprend.

— J'ai une pathologie particulière et qu'à part dans les hôpitaux psychiatriques à être bourrée de médicaments, je n'avais ma place nulle part.

— Vous souhaitez nous en parler ?

Patricia pince les lèvres et secoue la tête. Agnès est de suite autour d'elle.

— Je pense que cela suffit pour le moment, aller, viens ma biche, on va prendre un peu d'eau...

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— Vous êtes sûr que vous souhaitez m'interroger ?

— Bien sûr, Jason. Asseyez-vous. Ce que vous avez à nous dire est très important.

Jason s'installe devant la caméra.

— Donc qu'est-ce que le Centre m'a apporté, c'est ça ? Ok. Alors je pense que sans le Centre, je serais actuellement... mort. Ne faites pas cette tête, la mort est omniprésente chez nous, les malades psychiatriques. Nous ne vivons généralement pas vieux. Le Centre nous a tous apporté la bouffée d'oxygène suivante, celle qui permet de vivre un peu plus longtemps, peut-être un peu mieux. Nous pouvons voir avec nos yeux, être en accord avec nous-même. Vous savez, quand vous avez des pathologies compliquées comme les nôtres, votre vie ne vous appartient plus vraiment. Le matin vous prenez des cachets qui vous... zombifie... c'est clair quand je dis cela ? oui ? Ok. Donc le matin vous prenez des cachets, l'après-midi aussi et le soir... aussi. Votre corps est saturé de produits stupéfiants qui fonctionnent plus ou moins bien. Votre cerveau est HS, votre corps est vide... vous n'avez plus contact avec vous-même mais c'est bon, parce que vous ne souffrez plus... le Centre nous permet de nous reconnecter avec nous-même, pour de vrai.

— Mais vous avez des traitements ici aussi.

— Ouais, mais je ne sais pas comment vous expliquer. C'est différent. Ah, c'est mon tour. Heu...

— Allez-y... merci.

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Lauren s'assoit sur la chaise de plastique, souriant nerveusement.

— Je suis un peu nerveuse mais ça va passer. Vous savez, nous sommes marginalisés et même si vous parlez de plus en plus des maladies mentales dans les médias, on reste toujours des « fous ». Bon, beaucoup de progrès sont fait mais tout reste encore si méconnu ! des initiatives comme le Centre sont vraiment ce qu'il nous faut. Vous savez, j'ai passé la moitié de ma vie dans des instituts médicaux et autres hôpitaux de jours. C'est un combat pour moi, et pour chacun de nous d'avoir une vie « normale ». Je mets des guillemets car votre « normal » n'est peut-être pas le mien, vous comprenez ? Notre cerveau fonctionne différemment. Est-il défectueux ? je n'en sais rien... mais une chose que je sais, c'est que depuis mon entrée ici, je vais mieux. Mieux comme je ne l'ai jamais été.

— Vous pensez que cela vient de quoi ?

— Déjà, ici nous ne sommes pas traités comme des animaux, ou des numéros. Comment voulez-vous qu'il y ai des progrès alors que chaque service psychiatrique est surpeuplé et où les professionnels sont fatigués ? Il y aurait tout à revoir dans la gestion et les priorités. Ici, et c'est peut-être parce que c'est un organisme privé, nous sommes peu nombreux et humainement traités. Le traitement et la thérapie ici sont bons. Tout est adapté individuellement.

Red Blood Love (VF) [Complète]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant