Obsession

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Christophe Célestin n'est pas le genre d'individu à pouvoir être considéré comme stupide. Pour lui, l'affaire Willy Flinch sent le soufre. Rien n'est clair. Ou peut-être au contraire, trop clair et trop lumineux. Cela fait une semaine qu'il retourne les faits dans tous les sens, cherchant une faille ou l'ombre d'une preuve, mais rien. Il ne faut pas être un génie pour relier les points, par contre toutes les preuves sont indirectes. Pour lui, il ne fait aucun doute que Gael n'est pas uniquement une victime. La présence de Médéric près de lui est suspectes mais là aussi, que peut-il y faire ? Accusé le plus âgé d'avoir une mauvaise influence sur le plus jeune ? la belle affaire ! Il lance rageusement son stylo sur sa table et s'affale sur son fauteuil. On est samedi, il fait plutôt beau alors pourquoi est-il coincé au bureau ? Ce qu'il fait là est en dehors du cadre professionnel. Il ne sait pas pourquoi cette histoire d'agression, plus que banale, soyons honnête, l'obsède. Son flaire de flic le chatouille. Déjà à l'époque de l'affaire Sarzeau il n'avait pas pu travailler dessus même s'il la suivait avec intérêt. Là aussi cela sonnait faux. Tout était aller trop vite, trop loin, trop médiatisé pour au final acquitter l'homme sur un non-lieu. Pas assez de preuves, trop de témoignages contradictoires...

Christophe quitte son bureau pour se verser un café mais rien que l'odeur lui porte sur l'estomac.

— Il est temps de faire une pause. Je ne peux plus réfléchir.

Il récupère ses affaires. Á l'accueil, avant de quitter le bâtiment, il s'accoude au comptoir.

— Hé ma belle, tu me fais un rapide résumé, s'il te plait ?

La femme d'une cinquantaine d'année, repousse son casque téléphonique.

— Oh, beau gosse, tu penses que c'est gratuit ?

— Aller, soit sympas... c'est la fin du mois... je te promets un croissant lundi.

— Deux choux à la crème... français.

— Tu es dure en affaire. Un croissant et un paquet de chouquettes.

— Café ?

— Serré avec deux sucres.

— Bien ! Qu'est-ce que tu veux savoir ?

— Ça a bougé hier soir.

— Ouaip, baston qui a dégénéré. Quatre macchabés. Pas joli-joli à voir. Personne n'a rien vu et rien entendu.

— Quatre ? mais que s'est-il passé ?

La femme hausse les épaules.

— Je rédige les rapports, je n'ai pas le don de double vue. Mais bon, ça commence à faire beaucoup. Ils ont repêché un cadavre salement éventré dans le fleuve à la sortie de la ville. Le pauvre gosse était ouvert comme un poisson. Les tests toxicologiques ont montré qu'il était camé jusqu'à la couenne. C'est tout ce qu'on a de marquant. On a eu la livraison de viande saoule du vendredi soir et quelques putains. Trois plaintes pour tapage nocturne, une rixe dans le cadre d'une fête privée et cinq dépôts de plainte pour violence conjugale dont une avec viol. La routine quoi.

Christophe soupire.

— Dire qu'on en arrive à banaliser la violence et les crimes.

La femme rit d'un rire haut perché dans les aigus.

— Mon petit biquet, imagine, moi qui ai plus de vingt-cinq ans de boutique, hein ? Au fait, où est ton acolyte ?

— Tu as oublié ? Congé parental. Montgomery va jouer au papa pendant quelques jours.

— Et tu vas bosser avec qui ?

— Personne. Vacances forcées. Trop de congé à prendre qu'il a dit, le boss.

— Et tu traine encore ici ? Va donc lever une fille pour t'amuser au lieu de mettre ton nez dans les affaires sordides !

— Ok, maman ! Je t'apporterais quand même ton dû, lundi.

— Cause toujours ! sort d'ici !

Une fois dehors, Christophe sort la clé USB où sont regroupés tous les dossiers qui le titillent. Le soleil est haut dans le ciel, il est presque midi. La chaleur et l'humidité sont oppressantes. Il n'a même pas faim. Il pourrait rentrer chez lui mais rien que l'idée d'être enfermé, même avec l'air conditionné, entre les quatre murs de son appartement, le déprime. Il est à quelques pâtés de maisons du bar de l'affaire Flinch. Est-ce que cela serait un mal d'aller jeter un autre coup d'œil à la scène de crime ? Il est en congé ! Christophe rit dans sa barbe. Un an sans prendre de vacances et pourtant la simple idée de rester paresser chez lui le rend malade. Il a besoin d'agir et surtout d'utiliser son cerveau. Le métier d'enquêteur était le meilleur compromis mais la rigidité des lois et la lenteur administratives gâche tout.

Il arrive dans la petite ruelle derrière le bar. Il plisse les yeux sous l'odeur des poubelles en décomposition et la lumière qui se reflète sur les bouts de verres sur le sol. Bien sur la pluie de la semaine dernière et toutes celles qui ont suivi ont effacer toutes traces physiques. L'humidité a même eu raison de la petite caméra de surveillance du coin de la rue. Dommage, elle aurait été utile. L'inspecteur Célestin essaie de se projeter dans cette nuit noire et pluvieuse. La scène se déroule devant ses yeux. La première version, celle de Gael. Il le voit attendre devant la porte coupe-feu, son sac tenu dans ses mains. Willy le pousse. Il tombe et n'a pas le réflexe de mettre ses mains paume en avant et s'abime les phalanges. Pour l'instant ça va. Et ensuite ? Le gamin aurait provoqué Willy pour qu'il le frappe, non ? Si le gamin était à terre, un coup de pied aurait été la suite la plus logique. Le gamin s'est relevé pour se prendre un coup de poing sur la joue. Qu'a-t-il dit pour énerver Willy ? et vu le spécimen, un seul coup de poing n'aurait pas pu le calmer. Willy est un bagarreur, Gael, non. Pourtant c'est Willy qui a presque faillit mourir et Gael qui s'en sort avec seulement une ou deux égratignures. Il est clair que le gamin ne faisait pas le poids devant Willy. Alors que s'est-il passé ? il y a un passage de l'histoire qui lui parait floue...Puis imaginons, si cela s'est passé comme le dit le gosse, pourquoi d'autres personnes seraient venues tabasser Willy ? qui ? et ils viendraient d'où ? Christophe prend son carnet et y griffonne quelques notes. Vérifié si Willy n'avait pas de différent avec quelqu'un d'autre. Vérifier s'il n'a pas eu maille à partir avec qui que ce soit en rapport avec le match de football. Réinterroger plus précisément les gens du bar...Christophe soupire et se passe la main sur la nuque. Elle est moite. Il a chaud. Il se lèche les lèvres. Elles sont sèches. Il a soif. Est-ce vraiment important au final de résoudre cette affaire ? Willy est en vie et a surement mérité ce qui lui arrive. Il secoue la tête. Il est en vacances après tout... pourquoi cela l'obsède ? L'inspecteur quitte la ruelle pour rejoindre la rue principale mais deux silhouettes au loin lui fait changer d'avis.

Médéric et Gael marchent bras dessus-dessous sans se presser avec un sac de course à la main. Célestin leur emboite le pas. S'il voulait une preuve de la véracité des dires de Gael sur l'état de leur relation, rien n'est plus clair à présent après les avoirs vu s'embrasser en plein milieu de la rue. Donc le petit était bien là pour rejoindre son amant ce soir-là. Donc à présent, il faudrait trouver pourquoi Willy était dans ce bar précisément. Si ce que Cindy, sa copine est véridique, Willy squatte chez elle le temps « de se retourner ». Et son appartement est dans un quartier plus au sud. Christophe stoppe alors que Médéric et Gael disparaissent dans l'épicerie de quartier. Il fait demi-tour. Il est temps de rentrer chez lui. Il doit vérifier le dossier de l'affaire de tentative de viol d'il y a deux ans qui implique Médéric.

Red Blood Love (VF) [Complète]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant