L'émir Des Ténèbres

24.

Je vois l'émir entrer, suivi d'Anis et d'une femme. Je fronce les sourcils. Qui est-elle ? Voyant la façon dont elle est habillé, je reste encore plus confuse. Elle a l'air effrayée... j'espère que l'émir ne l'a pas ramené pour lui faire du mal.

- Princesse. Me dit l'émir.

Je relève la tête vers lui.

- Je vous présente ma... sœur, Manel. Me dit-il. Puisque vous êtes une femme, elle sera plus à l'aise avec vous.

Je reste surprise. Sa sœur ? Mais je reprends aussitôt et hoche la tête. L'émir s'en va et la laisse avec moi. Je la guide alors jusqu'à ma chambre.

- Vous êtes la femme de mon frère ? Me demande-t-elle.

- Oh, non. Dis-je en faisant un sourire gêné. Je suis seulement sous la protection de l'émir.

Elle hoche la tête. Feryel vient, et dépose un plateau rempli de nourriture avant de s'en aller.

- Tiens, tu dois reprendre des forces. Lui dis-je.

- Merci. Dit-elle d'une voix faible.

Je lui souris légèrement.

- Je ne savais pas que l'émir avait une sœur... Dis-je doucement.

- Lui non plus ne savait pas. M'avoue-t-elle. La famille de sa mère lui a caché cela...

Je soupire. Ce n'est pas quelque chose à cacher. Ou avaient-ils peur qu'il fasse du mal à sa propre sœur ? Nous restons dans le silence, avant qu'elle ne commence à me raconter son vécu.

J'en ai presque les larmes aux yeux. C'est tellement injuste. Elle est si jeune, mais n'a jamais eu d'enfance. Elle n'a jamais profité d'un seul instant de sa vie. Comment des gens peuvent être aussi cruel ?

- Tu es maintenant en sécurité. Lui assurais-je.

- ... Les rumeurs sur lui... sont-elles vraies ? Demande-t-elle avec prudence.

Je soupire puis hoche la tête avec hésitation.

- Mais s'il ne m'a rien fait jusqu'ici, il ne te fera rien non plus. La rassurais-je. C'est ton frère, après tout...

Elle baisse la tête et semble se perdre dans ses pensées. Je ne peux qu'imaginer la tempête dans leurs cœurs. Frère et sœur se retrouvent après avoir vécu seize ans dans l'ignorance.

Je finis par me lever, prendre quelques-unes de mes robes avant de les poser sur mon lit.

- Si tu veux, tu peux te prendre une douche et te changer avec une de mes robes. Lui proposais-je.

Elle hoche la tête puis se dirige vers la salle de bain. Je me rassois sur mon lit en entendant l'eau couler. J'ai tellement envie de voir comment va l'émir mais je me retiens... pour quelles raisons irais-je le voir ? Je vais seulement rester et m'occuper de sa sœur comme la mienne.

REZA

Je rentre dans mon bureau, puis ouvre la porte menant à mon endroit secret. J'ai besoin de rester seul. Je m'assois, et ferme les yeux. Ma haine contre ma mère grandit encore plus. Elle m'a fait vivre un enfer, a trompé l'homme qui l'aimait et l'a tué. Elle m'a caché ma sœur pendant seize ans, bon sang !

Si je n'étais jamais partis dans cette maison... je ne l'aurais jamais connu. Malgré sa forte ressemblance avec cette sorcière, je suis prêt à être à ses côtés. Elle aussi est une victime de ma génitrice...

- Reza ? Entendis-je.

Je lève la tête sachant pertinemment que c'est mon oncle. Seul lui connaît l'existence de cet endroit.

- J'ai entendu la nouvelle. Dit-il en s'asseyant à mes côtés. Lui ressemble-t-elle à ce point ?

- ... Énormément. Dis-je en soupirant. J'allais la tuer pour cela.

Il soupire à son tour puis baisse la tête.

- Si tu n'es pas prêt, tu n'es pas obligé de la voir tout de suite. Lui dis-je.

- Je vais devoir la voir à un moment ou à un autre. Me dit-il. Elle peut ressembler physiquement à la meurtrière de mon frère, mais elle est une jeune fille. Rien n'est de sa faute. Elle est innocente.

HAMZA (L'ONCLE)

Et de là, je me perd dans mes pensées. Revoir une copie conforme de Samiha ? Cette idée ne m'enchante pas, à vrai dire. Mais je ne peux pas laisser le passé me hanter.

- Grand frère, écoute, je ne la sens pas cette femme. Lui dis-je en soupirant.

- Hamza, je l'aime. Rétorque-t-il. Je veux qu'elle soit la femme de ma vie, la mère de mes enfants.

Je grimace face à sa réponse. Cette femme dégage une aura tellement sombre...

- J'espère que tu ne te trompes pas, mon frère. Lui dis-je.

Il pose sa main sur mon épaule comme pour me rassurer. Puis il s'avance vers la salle. L'imam est là. Les témoins sont là. Dans quelques minutes, ils seront liés à jamais.

Parfois, je me demande si j'aurais pu empêcher la mort de mon frère. Si j'avais insisté... si j'avais tout fait pour qu'ils ne se marient pas... si seulement.

Au départ, quand j'ai découvert sa mort, j'étais dévasté. Je n'ai pas pu le voir une dernière fois. J'avais pris les armes, j'étais à deux doigts d'en finir avec cette femme avant que je ne croise ce petit garçon. Mon neveu. Il ressemblait tant à mon frère, avec quelques traits de cette femme.

Il avait perdu son père, sa mère l'a rejeté, j'étais sa seule famille. Je l'ai éduqué, protégé et aimé pendant ces dix ans. Mais ce n'était pas assez. Ce n'était pas assez parce que je n'ai pas pu l'empêcher d'éprouver de la haine pour toutes les femmes. Il voit en elles sa mère.

- Je ne veux pas être violent avec elle, mon oncle. M'avoue-t-il. Seulement avec elle, je veux être doux... être un vrai grand frère. Je ne me reconnais plus.

Je lui souris légèrement.

- Parce que tu ne peux pas être avec ta sœur comme tu es avec le reste. Lui dis-je. Elle est peut-être une femme, mais tu sais qu'elle ne peut pas prendre le trône. Le fait qu'il soit inaccessible pour elle te rassure alors tu lui fais confiance.

Il hoche la tête. La première loi qu'il a faite est qu'aucune femme ne peut accéder au trône. Sa sœur ne peut pas gouverner. Mais sa femme le peut, si elle lui donne un fils. C'est pour cela, je sais qu'il sera comme jamais il ne l'a été avec sa sœur. Peut-être, et avec l'aide de la princesse, toutes deux pourront le changer ?