Chapitre 10 - Une rose sans épines

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L'après-midi tirait à sa fin, et, malgré l'été qui s'installait, les températures commençaient à chuter. Suffisamment pour que Lizzie s'attarde bien plus longtemps que nécessaire près des flammes, en compagnie d'Ambroise. Des feux avaient été érigés partout dans le village pour contrer l'air froid qui soufflait entre les habitations.

— Alors ? Que vas-tu faire ?

Lizzie tressaillit et fixa plus encore son regard sur les flammes. La voix d'Ambroise avait la douceur du velours. À travers la fumée qui montait entre eux, elle pouvait lire son inquiétude : dans ses yeux, dans la façon dont ses prunelles cherchaient toujours les siennes, dans le ballet de ses doigts nerveux qui, pour s'occuper, taillaient inlassablement le même bout de bois. Sa présence à ses côtés était douloureuse. D'une façon qu'elle ne pouvait que trop bien s'expliquer : ils auraient tout aussi bien pu se trouver lui d'un côté de la mer, et elle de l'autre. Ambroise appartenait à l'Adrasie, à Caelian, aux après-midis d'été passées dans les jardins royaux, dans l'écrin du vieux théâtre

— Je ne sais pas, avoua-t-elle. Je... je n'arrive pas à réfléchir.

Son cræft. Contre sa vie.

Un nœud de ronce meurtrissait constamment son ventre.

Son esprit butait sur la possibilité qui lui était offerte. Le prix à payer était si lourd. Non, elle ne parvenait plus à penser.

— Il n'y a pas à réfléchir, Élisabeth.

Son prénom sur ses lèvres la figea un instant.

Il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre.

Comment pourrait-elle vivre sans cræft ? Seule, livrée à elle-même, elle ne savait où dans les Bas-Royaumes ? Vivre en n'ayant plus rien d'autre qu'elle-même – que l'écho de ce qu'elle avait été. Et lui ? Lui aurait tout. L'honneur, la gloire, l'or. Son cræft intact. Son identité même, inchangée.

Ce n'était pas juste. Ce n'était pas juste.

Lizzie ravala la réplique acerbe qui montait dans sa gorge et se leva.

Elle enroula ses doigts autour de la dague qu'elle avait passé à son côté — elle n'avait plus besoin de dissimuler son arme, désormais. Ses épines étaient dévoilées en plein jour, et nul ici ne songeait à les craindre.

— Et si tu hésites, tu sais ce qu'il te reste à faire.

Lizzie secoua la tête. La vie de Jan n'était pas à elle ; seule sa propre existence lui appartenait – à elle, et à Mercyng. Elle devait ôter la vie de Jan de l'équation. Il n'y avait que deux choix : sa mort prochaine, ou sa vie. Mais il était si difficile de réduire le champ des possibles lorsqu'une troisième voie s'esquissait ; ses pensées tendaient toujours vers celle-ci, malgré elle.

Tuer était dans sa nature.

C'était si simple que cela en était terrifiant. Si aisé que cela la dégoûtait d'elle-même. Et dans un éclair, elle revit en esprit les yeux morts qui la dévisageaient chaque nuit.

— Va le voir. Van Stoker.

— Jan, lui, ne cherchera pas à me dicter ma conduite, rétorqua-t-elle.

Ambroise la fixa par-dessus les flammes. Il y avait quelque chose sur ses trais, quelque chose qui relevait plus de la lassitude que de la colère.

— Ce n'était pas le sens de mon propos. Tu sais ce qu'il te reste à faire, répéta-t-il.

Oui, elle le savait.

Ambroise avait raison. Il était inutile de se débattre ainsi en vain avec elle-même. Elle avait besoin de réponses, et ne pourrait les obtenir qu'après de Jan.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant