Chapitre 13 - Des fantômes et des mensonges

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Trois ans plus tôt


— Où allons-nous ?

Ambroise ne répondit pas. Il se contenta de la pousser à travers l'entrée des Roses. Il s'agissait d'un passage, percé dans le flanc d'une élévation, qui menait à la ville aisée de Caelian, et que les courtisans ou le Roi empruntaient pour sortir en toute discrétion du Palais. Discrète, la grille aurait pu l'être, si elle n'était pas recouverte d'or. Comme tous les accès qui menaient au domaine royal, il était étroitement surveillé, mais les gardes, le regard résolument tourné vers la ville, avaient fait vœu de silence. Sortir était une chose ; entrer, une toute autre.

Lizzie était vêtue de l'uniforme de la Pension. Ambroise, lui, avait passé des vêtements simples. Seul le pistolet qui pendait à sa ceinture rappelait son appartenance à la garde royale.

De chaque côté des rues larges, les hôtels particuliers s'égrenaient dans une succession de façades en pierres de taille et de portails délicatement ouvragés. Des carrosses passaient, les sabots des chevaux claquant sur les routes pavées.

Lizzie s'attendait à tout instant à ce que Ambroise les arrêtât devant une porte quelconque. Mais ils continuèrent de descendre vers le nord de Caelian, vers la ville sale et tortueuse comprimée entre la mer et la colline qui s'élevait en pente douce, supportant la cité noble et le Palais royal.

Les édifices bourgeois avaient fait place, sur les côtés des rues plus étroites, à de hautes maisons serrées les unes contre les autres. Ils s'enfonçaient dans la basse-ville de Caelian. Lizzie dut bientôt soulever l'ourlet de sa robe pour éviter de la salir, et effectuer une succession de pas périlleux pour éviter la boue et les détritus. Ambroise gardait sa main rivée sur la crosse de son pistolet, prêt à dégainer à tout instant.

— Ambroise, où allons-nous ?

— Nous entraîner.

— Dans Caelian ?

— Oui. Reste près de moi.

Comprenant qu'elle n'en tirerait rien de plus, elle poussa un soupir et suivit Ambroise dans la venelle dans laquelle il s'engageait. Elle l'observa en silence de longues minutes, pendant qu'elle progressait derrière lui. Son pas assuré. Il s'orientait avec facilité dans la cité ; Lizzie, elle, était perdue. De toute évidence, il avait l'habitude de la parcourir. Et tout à coup, Lizzie lui envia sa liberté. Il pouvait sortir de la caserne quand bon lui semblait.

Pour Lizzie, chaque rue était une découverte constante. Tout était si différent de la Pension, du calme ordonné et propre des boiseries et des murs tendus de tapisseries. Ici, le monde était vivant. Des discussions, des cris, des enfants qui passaient en courant et en riant, et le fracas des outils qui s'actionnaient et des tissus qui claquaient, et les odeurs...

Lizzie ralentit malgré elle.

Tout à coup, elle avait à nouveau huit ans, et la Peste sévissait dans les rues malodorantes.

Ses mains tremblèrent, et elle les enfouit dans les plis de sa robe.

— Lizzie ?

Elle cligna des yeux pour chasser les souvenirs. Mais elle n'y parvenait pas tout à fait. Ils hantaient les bords de sa conscience, prêts à fondre sur elle, et les larmes menaçaient elles aussi de jaillir.

Ambroise était à côté d'elle, et la dévisageait.

— Nous ne faisons que passer, fit-il. Mais si tu préfères que nous empruntions un autre chemin, nous...

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant