Lizzie haletait.
Chaque geste lui demandait un effort colossal. À quelques pas de là, l'eau froide du lac lui tendait les bras, mais elle n'osait s'arrêter pour en profiter.
Son cœur scandait son effroi et sa fatigue, ses jambes étaient plus molles que du coton. Mais elle marchait, inlassablement, de la forêt à la grève, et de la grève à la forêt. Portant ou trainant derrière elle des branches, des feuilles. Chaque respiration était plus pénible que la précédente, et son corps frémissait de douleurs intenses.
Lizzie avait la confuse impression d'ériger son propre bûcher. Elle aurait voulu que Jan soit à ses côtés. Mais Jan s'était enfui, comme elle le lui avait demandé. La laissant seule.
Elle poursuivit sa tâche, branche après branche. Elle se surprenait à supplier pour qu'Ambroise apparaisse entre les arbres. Mais le Pays d'en Haut était vaste, et pour ce qu'elle en savait, Ambroise pouvait fort bien être parti depuis longtemps dans une toute autre direction.
Un grand monticule de branchages s'élevait désormais sur la grève, devant la masure.
Lizzie ingurgita un peu de krafjane, ainsi qu'une profonde inspiration pour se raffermir. Elle s'empara du briquet. Il était temps. Mais tandis qu'elle actionnait l'objet, elle hésita. La poudre venait agiter son cræft. C'était à peine une vague sensation, en vérité, mais assez présente toutefois pour lui donner une idée.
Elle s'agenouilla devant le tas de bois, et tendit les mains, convoquant le cræft dans ses paumes. Invoquant le feu. Lizzie ne l'avait fait qu'à de rares reprises, la plupart du temps sous le coup de la colère. Il y avait toujours eu tant de rage en elle ; et cette même rage qui la consumait encore plus ardemment, à présent.
Elle serra les dents sous la morsure brûlante du cræft qui engourdissait ses doigts. Elle fouilla en son for intérieur, extirpant toutes ses colères comme on retourne de la terre.
Elle songea à la fin funeste qui l'attendait, le royaume sombre dont les portes s'ouvraient lentement, prête à la dévorer tout entière. Chaque minute la précipitant un peu plus vers sa fin. Elle rageait et rageait contre son propre sort.
Mais surtout, comme une lame acérée à laquelle on se pique par inadvertance, il y avait Ambroise. Il imprégnait tous ses souvenirs. Et cela était incroyablement douloureux.
Ambroise.
Ambroise qui l'avait dupée un millier de fois.
Lorsqu'il l'avait convaincue de glisser de la poudre dans le verre du baron de Mésille.
Lorsqu'il incorporait lui-même du poison dans ses repas et ne l'arrêtait qu'au dernier moment – ou pas du tout.
Lorsqu'il avait pointé son arme sur Jan, au Burgsæl.
Ambroise l'avait dupée avec ses rires, ses sourires, avec sa sollicitude.
Ambroise l'avait dupée avec ses promesses. Quand il avait serré sa main pour l'encourager dans la chapelle royale. Quand il l'avait soutenue à chaque fois qu'elle menaçait de s'effondrer.
Mensonges, mensonges encore et encore.
Lizzie laissa sa colère et sa peur se déverser dans ses mains sous la forme de deux flammes brûlantes.
Dans une exultation intense et vertigineuse, elle posa ses mains sur le bûcher, communiquant le feu au bois mort. Un enfer rouge. Une tempête de braises et de cendres.
Elle laissa un rire lui échapper.
Lizzie aurait aimé qu'Ambroise la vît comme elle était en cet instant. Une rose avec des épines. Forte et puissante comme il l'avait forgée. Non. Comme elle l'avait toujours été, bien avant d'apprendre à faire tomber des royaumes.
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La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en Haut
Fantasía[Tome 2] Au Pays d'en Haut, la guerre menace. Lizzie, affaiblie par la colère du dieu sombre, a quitté Fort-Rijkdom. Elle ne pourra échapper éternellement au sort qui l'attend, comme à ceux qui la poursuivent. Le temps est compté, et chaque seconde...