Ambroise n'était pas mort.
Elle le savait. Car après avoir franchi la grille du cimetière, l'ombre de son mentor planait encore dans son dos.
Lizzie détesta cette sensation. Elle avait l'impression qu'il s'était logé dans les marques mêmes qui meurtrissaient sa chair. Et elle pouvait sentir ses doigts refermés comme des serres sur son crâne. Agrippée au bras de Clervie, elle avait remonté l'allée garnie de tombes. Et il avait marché loin derrière elle. Elle avait entendu le fer forgé grincer sur ses gonds, senti le feu de son regard dans son dos.
Clervie et elle avaient déposé un bouquet de roses et de fleurs des larmes sur le tombeau de Brenn Ryder. Les fleurs qui s'y s'épanouissaient étaient fanées par la chaleur qui s'était abattue sur la ville, et les pétales desséchés tremblotaient au bout de leurs tiges. Et lorsque Lizzie avait suivi leur course dans la brise soudaine qui s'était levée, elle avait enfin aperçu la silhouette d'Ambroise, et l'éclat blond de ses cheveux, quelques caveaux plus loin. Il était aussi pâle qu'un spectre, une main pressée contre son abdomen, mais il était en vie. Et dans le regard silencieux qu'ils avaient échangé, Lizzie avait senti son cœur se tordre.
Clervie, elle, ne l'avait pas vu ; elle avait gardé ses yeux rivés sur la dalle de marbre sertie de fleurs violettes. Lizzie se souvenait de ces fleurs ; c'était avec elles que Jan l'avait immobilisée, dans le Nord, alors qu'elle avait tiré son poignard face à lui.
À présent, elles étaient de retour dans l'agitation de Fort-Rijkdom, leurs éventails claquant dans l'air lourd qui recouvrait la ville. Lizzie songeait toujours aux fleurs, à leur velours violacé. Elle se demanda si son amie savait que leur suc contenait un poison mortel. Probablement pas. Clervie, après tout, n'avait pas été choisie par Ambroise. Clervie n'avait vu que la beauté des pétales.
Lorsque leur fiacre fut en vue, Lizzie pressa le coude de Clervie.
— J'ai quelque chose à faire. Rentre, d'accord ? Je ne serai pas longue.
Clervie pivota vers elle, un air inquiet sur les traits.
— Je t'accompagne.
— Non.
Ambroise était toujours là. Lizzie ne pouvait pas en informer Clervie sans se compromettre. Et elle n'osait pas tourner la tête vers Ambroise, de peur de sentir ce qu'il lui restait de courage se briser pour de bon.
— Lizzie, c'est déjà de la folie de sortir ainsi en plein jour... Après ce qu'il s'est passé...
— Rentre. Je te promets que je ferai attention. Nous ne sommes pas très loin de la maison, je ne risque rien.
Le regard de Clervie papillonna jusqu'à la voiture, se posa de nouveau sur Lizzie.
— D'accord. Mais soit revenue avant la nuit.
— Promis.
Clervie monta dans le fiacre. Lizzie attendit que l'attelage s'ébranle, puis que le fracas des sabots se dissipe au coin de la rue.
Ambroise était toujours là. Un spectre qui jouait avec son esprit, mais un spectre bien réel, de chair et de sang. Elle croyait l'apercevoir partout, dans les coups d'œil qu'elle jetait à la dérobée, et ne le voyait nulle part. Et bien qu'elle ignorât où il se trouvât, son cræft n'étant plus là pour l'aiguiller, elle pouvait toutefois presque sentir son regard peser sur elle. Alors elle marcha, du pas rapide de celle qui sait où elle va, de l'allure vive de celle qui, indéniablement, ne tenait pas à être suivie. Les pavés de Fort-Rijkdom se succédèrent sous ses pas, battus par la pluie qui venait de se mettre à tomber. Au-dessus des canaux, les mouettes criaillaient une mélopée funeste qui lui donna la chair-de-poule – à moins que ce ne fut simplement les trombes d'eau qui la glaçaient jusqu'aux os.
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La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en Haut
Fantasía[Tome 2] Au Pays d'en Haut, la guerre menace. Lizzie, affaiblie par la colère du dieu sombre, a quitté Fort-Rijkdom. Elle ne pourra échapper éternellement au sort qui l'attend, comme à ceux qui la poursuivent. Le temps est compté, et chaque seconde...