Lizzie se tenait devant le miroir qui trônait dans le hall. Son reflet lui renvoya un regard dur. Déterminé. Mais elle ne pouvait manquer ce qui brillait au fond de ses prunelles. De l'inquiétude, mêlée à une fatigue dont elle ne parvenait pas à se défaire – elle se réveillait chaque nuit en sursaut, et des cernes s'épanouissaient sous ses yeux, tranchant sur sa peau blême. Ses joues s'étaient creusées, et elle flottait bien plus qu'elle ne l'aurait dû dans ses vêtements.
Elle considéra un instant la tenue d'homme qu'elle avait revêtue. Elle avait emprunté à Jan des braies et une chemise, comme elle l'avait fait près d'un an plus tôt, lorsqu'elle avait assassiné Ulrik Redstig. Mais cette fois, plutôt que les habits luxueusement brodés du jeune homme, elle avait subtilisé le manteau de Hammond Trygve, plus discrète. Elle avait descendu l'escalier sur la pointe des pieds et avait décroché le lourd manteau pendu à la patère. Le médecin était plus grand que Jan, et le vêtement lui arrivait sous les genoux.
Mais après tout, peu importe si son allure était étrange. Il n'était pas question de jouer le moindre rôle ce soir. Elle se glisserait à Geardham – c'était là, elle l'avait appris, le nom de la demeure d'Ascelin de Glaves, ce lieu qui peuplait ses cauchemars depuis des nuits et des nuits ; c'était là où le Roi séjournait. Elle s'y coulerait comme une ombre. Elle poignarderait le Haut-Régent en plein cœur.
Et ensuite ? Elle trouverait Ambroise, où qu'il se terre à Fort-Rijkdom. Et elle s'occuperait de son sort.
Lizzie baissa les yeux vers ses chaussures. Elle avait revêtu ses bottes élimées, celles qu'elle avait portées dans le Nord. Et à l'intérieur, elle avait glissé son poignard. Elle ignorait encore quel stratagème adopter, mais une chose était certaine : la lame devait être dissimulée, et elle n'aurait pas ses jupons pour la cacher aux regards.
Une seule lame. Sans cræft, c'était un pari risqué. Mais la garde avait saisi toutes les autres armes qui se trouvaient dans la maison.
— La prochaine fois que vous souhaiterez m'emprunter un vêtement, il vous suffira de demander.
Lizzie sursauta.
Elle n'avait pas vu Hammond Trygve dissimulé dans la pénombre.
— Que faites-vous ici ?
Une parade pathétique, siffla la voix d'Ambroise dans sa tête.
Taisez-vous, lui rétorqua-t-elle.
Hammond Trygve la contemplait toujours. Il s'avança d'un pas, puis d'un autre. Il était plus grand qu'elle, et elle dut lever les yeux pour croiser son regard. Elle n'y vit rien du reproche auquel elle s'attendait. Non. Dans les prunelles du jeune homme, il n'y avait que de la compassion.
— Est-il vrai que vous comptez tuer De Glaves ce soir ?
Lizzie frémit.
— Qui... Qui vous a dit une chose pareille ?
— Moi, déclara la voix de Clervie depuis le haut des escaliers.
Elle avait à peine descendu quelques marches que la voix de Jan résonna à son tour.
— Et je suis au regret de vous avertir que j'ai, moi aussi, été mis dans la confidence.
Il se tenait sur le seuil du salon, à seulement quelques mètres d'elle. Elle le foudroya du regard. Il s'était tenu à quelques pas d'elle tout ce temps, et elle ne l'avait pas entendu. Pathétique, susurra encore la voix d'Ambroise.
Et maintenant ? Les trois regards braqués sur elle exigeaient une explication. Elle faillit mentir. Se ravisa. Elle les dévisagea un à un, et releva le menton face à leurs mines soucieuses.
— Oui. Je vais tuer De Glaves. Cela vous pose-t-il un problème ?
— Vous devez vous reposer, lui enjoignit Hammond. Vous n'êtes pas en état.
— Je vais mieux. Beaucoup mieux. Grâce à vous.
— Vous tenez debout, certes. Je n'appelle pas cela aller mieux. Et vous avez, par ailleurs, une bien étrange façon de me remercier.
— Tu es toujours recherchée, ajouta Clervie. Et Fort-Rijkdom grouille de soldats. Sans parler de Geardham qui accueille le Roi !
Lizzie eut un rictus.
Tuer De Glaves sous le nez de l'Ardrasie. C'était précisément ce qu'elle souhaitait faire. Elle voulait que le Roi ait peur. Non. Elle voulait qu'il soit terrifié. Horrifié à l'idée que sa propre Lame se retourne contre lui ; qu'elle vienne pour lui arracher le cœur.
— Vous ne me ferez pas changer d'avis.
— Carlton Belvild a un plan, contra Jan. Ce que vous faites pourrait très bien ruiner...
— Carlton Belvild m'a demandé de tuer Ascelin de Glaves.
Mais je ne travaille pas pour lui.
Je suis seule.
Et j'aurai ma vengeance.
— Nous avons un plan ! s'interposa Hammond. Vous ne pouvez pas laisser ainsi vos émotions vous dicter votre conduite.
— Je n'ai pas sollicité votre opinion.
— Parle à Hammond sur un autre ton ! explosa Clervie.
Lizzie serra les poings.
— Soit. Nous avions un plan. Il est exclu que nous le poursuivions. Ce plan, Ambroise le connaissait, et il est... il est du côté de De Glaves, à présent.
— À présent, railla Jan. Je vous avais dit que vous jouiez avec le feu, Élisabeth.
— Si Belvild a des réclamations, il me les fera lui-même. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser...
Elle pivota vers la porte, mais le bras de Hammond fusa vers elle.
Elle ne s'était pas attendue à ce mouvement de sa part. Et ce fut peut-être car elle était figée par la surprise que le médecin eut la vie sauve, car tout ce qu'il y avait d'instincts en elle aurait déjà riposté dans le cas contraire. Lorsque les doigts du médecin se refermèrent sur son poignet, Lizzie fixait la lourde sculpture posée sur le guéridon près d'elle – et sa main libre se tendait déjà vers elle pour s'en emparer. Elle laissa son bras retomber le long de son corps.
— Élisabeth, la priait-il déjà, vous ne pouvez pas. Vous...
— Je viens avec toi, annonça Clervie.
Lizzie cilla. Elle fixa Clervie, qui la toisait depuis l'escalier.
— Quoi ?
— Ce n'est peut-être pas moi qu'Ambroise a choisi, ce jour-là, mais mon don nous sera utile pour entrer.
— Ton don ?
— Oui. Je peux rendre les objets invisibles, te souviens-tu ? Et les humains.
Lizzie secoua la tête.
— C'est trop dangereux.
— Lizzie. Je suis plus forte que tu ne le penses.
— Non, tu ne l'es pas ! Tu ne sais même pas te défendre, tu...
— Élisabeth Prudence, je t'accompagne, que tu le veuilles ou non.
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Un très court chapitre, mais la suite arrive demain :)

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La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en Haut
Fantasi[Tome 2] Au Pays d'en Haut, la guerre menace. Lizzie, affaiblie par la colère du dieu sombre, a quitté Fort-Rijkdom. Elle ne pourra échapper éternellement au sort qui l'attend, comme à ceux qui la poursuivent. Le temps est compté, et chaque seconde...