Prologue

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Le monde était bleu du crépuscule qui s'installait.

Dans l'aube glaciale, les braises rougeoyantes mouraient avec lenteur.

Les restes du feu ne parvenaient pas à le réchauffer, mais cela, supposa-t-il, ne faisait rien. Il fallait se remettre en route. Continuer, inlassablement. Il ne s'arrêterait pas avant d'avoir atteint son but.

Et il y avait assez de colère en lui pour lui tenir chaud.

Ambroise passa une main lasse sur son visage. Il y avait des matins comme ceux-là. Des matins où ses rêves chaotiques s'accrochaient à ses paupières. Des songes qui le laissaient amer et épuisé. Lizzie Prudence était dans chacun d'entre eux. Elle ne lui offrait aucun répit, peuplant encore et encore la moindre de ses nuits.

Il la revoyait, si jeune – un diamant brut. Il rêvait de son sourire insolent qui l'avait tant exaspéré. Pourtant, il chérissait la façon dont elle cherchait ses limites, regard après regard, réplique après réplique. C'était cela qui l'avait forgée. Ambroise l'avait laissée jouer, l'observant pendant qu'elle évoluait sur le fil qui les reliait tous deux, comme une équilibriste. À quel moment avait-elle rompu la corde sur laquelle elle dansait ? À quel moment avait-elle bafoué sa confiance et pourquoi ?

Ambroise laissa ses doigts gourds courir sur la crosse de son pistolet. Un geste machinal qui fit frémir son cœur. Il aurait dû tirer. Il aurait dû. Avant elle.

Mais, aveuglé par la douceur de ses pétales, il avait oublié ses épines.

Comment avait-il pu ?

Et elle avait fait fleurir sur son bras une blessure béante.

Ce n'était pas la première fois qu'une partie de lui-même le quittait. Mais c'était différent, cette fois. Il lui avait tout donné. Et maintenant ? Il l'avait perdue. Il avait tout perdu.

Ambroise se leva. De la pointe de sa botte, il balaya les tisons rouges qui palpitaient encore faiblement dans le crépuscule pour les enterrer sous une couche de cendres.

Il devait poursuivre sa route.

Reprendre la traque.

La retrouver, si elle était encore en vie.

***

D'aussi loin qu'Ambroise se souvienne, le parloir de la Pension avait toujours arboré les mêmes murs tendus de tapisserie bleue. Le même mobilier qui ne reflétait pas la moindre trace d'usure. Personne ne venait jamais en ces lieux, à l'exception de quelques riches donateurs, de rares bourgeois en quête d'un héritier ou d'hommes en recherche d'une épouse. Un parent éloigné, parfois, pour quelques pensionnaires chanceux – mais les visiteurs étaient souvent si indigents qu'ils préféraient éviter de franchir les grilles des jardins royaux.

Ambroise avait lui-même pénétré dans cette pièce une seule fois, lorsqu'il avait émis le souhait de rejoindre la garde. Officiellement. Car dans le secret de la nuit, il descendait parfois l'escalier qui menait au rez-de-chaussée, dans le plus grand des silences, pour se glisser au parloir. Derrière un tableau était dissimulée une bouteille de whisky que madame Constance réservait à ses plus prestigieux invités. Un secret qui passait dans le dortoir des garçons, et que lui avait confié un de ses camarades. Ambroise n'en prélevait qu'une minuscule gorgée. Puis il errait dans les couloirs vides de la Pension, veillant à ne pas déranger la moindre poussière, exerçant son oreille à guetter le moindre son. C'était ainsi qu'il avait découvert que le cræft pouvait être manipulé de façon à exacerber les sens. Il ne s'était jamais fait prendre.

Deux coups sur la porte le firent émerger de ses souvenirs. Il détacha ses yeux de la peinture qu'il fixait depuis de longues secondes pour les porter vers le panneau de bois, et croisa ses mains dans son dos.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant