Lizzie avait connu bien des silences dans sa vie. La désapprobation froide d'Ambroise ; le souffle de la mort qui se glissait sur le grabat de sa mère ; l'effroyable solitude de ses propres sanglots dans la nuit.
Mais ce silence-ci ? Il était différent. Pesant, comme englué dans de la poix.
Dans le petit salon, personne ne parlait.
Ni Clervie, qui berçait lentement son bébé dans ses bras ; no Jan, assis dans un profond fauteuil, un verre de brandewijn à la main qu'il ne buvait pas. Et guère non plus Lars Maarten, accoudé au manteau de la cheminée et dont le regard se perdait inlassablement vers l'horloge qui égrenait les secondes.
Lizzie, les mains serrées sur sa dague, tâchait de simplement respirer sous le corset qui l'opprimait. L'inquiétude l'étouffait plus qu'elle ne voulait l'admettre. Mais si elle fermait les yeux, elle pouvait s'imaginer assise sur l'estrade du vieux théâtre des jardins royaux, et non pas sur un sofa à Fort-Rijkdom. Elle pouvait presque sentir – oh, si douloureuse, à présent – la présence d'Ambroise à ses côtés. Inspire lentement. Bloque ta respiration. Expire. Doucement. Encore. Mais à travers son souffle, son cœur tambourinait entre ses côtes. Tout son corps était secoué de spasmes nerveux incontrôlables, et la tension nichée dans son dos et dans sa nuque y était si solidement arrimée qu'elle avait l'impression que ses muscles allaient craquer.
— Nous devons y aller.
***
Lizzie petit-déjeunait seule dans la salle à manger lorsqu'Hammond s'arrêta sur le seuil. Par-dessus enfilé et mallette en main, il était sur le point de partir. Il était encore tôt ; trop tôt pour que quiconque, hormis eux, soit levé. Le poêle à cræft qu'il avait certainement allumé en se réveillant diffusait une douce tiédeur dans la pièce.
Lizzie reposa la tasse de thé à laquelle elle s'accrochait de ses deux mains – davantage pour la chaleur qu'elle lui procurait.
— Vous vous en allez, dit-elle.
— Oui. Mes patients m'attendent.
Hammond se racla la gorge.
— Je suis venu vous souhaiter bonne chance pour ce soir. Je ne...
Il passa une main dans ses cheveux, rajusta maladroitement la manche de sa chemise. Lizzie aurait aimé que la chance lui suffise ; mais elle savait que, dans quelques heures, elle ne pourrait compter plus que sur elle-même.
— Je ne serai pas de retour avant votre départ, expliqua Hammond.
— C'est... C'est très gentil de votre part. De venir...
Me dire adieu. La gorge de Lizzie se serra.
— Avez-vous besoin de quoi que ce soit ?
Des poisons. C'était cela qu'il sous-entendait. Lizzie pressa les fioles de krafjane qu'elle dissimulait dans la poche de sa robe.
— Non, je vous remercie. J'ai tout ce qu'il me faut.
— Bien. Dans ce cas...
Les mots indicibles se suspendirent entre eux, frêles et pâles, pourtant aussi tonitruants qu'un coup de tonnerre. Lizzie les attrapa au vol.
— Si je ne m'en sors pas...
— Vous vous en sortirez.
— Non, écoutez-moi. Si je ne m'en sors pas, veillez sur Jan. Je vous en prie.
Hammond la dévisagea longuement de ses yeux d'ambre, comme s'il cherchait ses mots. Sa main se crispa sur la poignée de sa mallette.
— Vous n'avez pas besoin de m'en prier, dit-il enfin. Je veillerai sur lui. Je l'ai toujours fait, et je le ferai toujours.
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La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en Haut
Fantasy[Tome 2] Au Pays d'en Haut, la guerre menace. Lizzie, affaiblie par la colère du dieu sombre, a quitté Fort-Rijkdom. Elle ne pourra échapper éternellement au sort qui l'attend, comme à ceux qui la poursuivent. Le temps est compté, et chaque seconde...