Chapitre 21 - Sans conséquence

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Les pensées de Lizzie s'accrochaient à son esprit, l'empêchant de trouver le sommeil.

Je veux tuer Carlton Belvild.

Voilà. Elle l'avait dit. Et elle s'en sentait plus lourde encore.

Belvild devait se terrer quelque part à Fort-Rijkdom. À moins qu'il ne fut tout à fait ailleurs, perdu dans l'immensité du Pays d'en Haut. Elle n'avait aucun moyen de le retrouver. Si. Elle connaissait Hammond Trygve. Ou Fiona, si elle demeurait toujours chez Jan. Peut-être sauraient-ils lui indiquer où Belvild se trouvait. Ils ne lui donneraient pas l'information de plein gré, mais elle pouvait les faire parler.

L'inquiétude la rongeait plus qu'elle ne voulait l'admettre. Elle n'avait plus de cræft. Elle n'avait plus rien, et sa tête était mise à prix.

Je veux tuer Carlton Belvild.

Les mots brûlaient encore ses lèvres. Réels. Le poids de la tâche qui l'attendait s'abattit sur elle comme une chape de plomb, lui coupant la respiration.

Elle tourna légèrement la tête, de façon à pouvoir observer Ambroise, allongé à même le sol. Sa silhouette était tout juste discernable à la lueur des braises qui mouraient dans l'âtre. Son corps devait être aussi fourbu que le sien. Il avait croisé ses mains sur sa poitrine. La blancheur de sa peau ressortait sur le manteau sombre dont il s'était recouvert, et se soulevait au rythme de sa respiration égale. Il ne dormait pas, lui non plus. Elle regarda ses doigts. Ses doigts qui, quelques heures plus tôt, avaient pansé à nouveau la plaie qui ceignait sa cuisse. Ses doigts qui avaient l'habitude de lui tendre des armes et des fioles de poisons, de tresser ses cheveux, de corriger la position de son bras lorsqu'elle tirait, de la soutenir lorsqu'elle tombait.

Et tout à coup, le lit lui sembla bien trop grand pour elle seule. Et Ambroise lui parut bien trop loin.

— Ambroise ? souffla-t-elle.

Le prénom s'était échappé de ses lèvres avant qu'elle ne pût le retenir.

Il pivota la tête vers elle. Le cœur de Lizzie pulsait si fort qu'elle était certaine qu'il l'entendait.

— Je crois... que je préférerais que vous veniez ici. S'il vous plait.

Elle sentit son regard peser sur elle dans la pénombre. Elle perçut le bruit des couvertures qu'il rejetait, et vit sa grande silhouette se dessiner. Il grimpa sur le lit, et prit place à côté d'elle. Et il attendit.

— Que se passe-t-il ? chuchota-t-il au bout d'une éternité.

Elle ne savait pas. Elle ne savait pas. L'espace entre eux lui paraissait gigantesque. Elle avait besoin de sa présence. Et elle se blottit contre lui. Il se tendit, et elle crut, durant une vertigineuse seconde, qu'il allait la repousser. Mais il referma ses bras sur elle. Dans de lents mouvements, sa main caressa ses cheveux. Voilà. Là, elle était bien. Ou presque.

Les pulsations du cœur d'Ambroise étaient lentes, apaisées. Son cœur à elle battait comme les ailes d'un oiseau prit en cage. Elle se concentra sur les va-et-viens de sa main sur son crâne. Mais ce n'était pas assez. Elle le voulait plus près, plus près encore. Elle voulait qu'il apaise l'angoisse qui lacérait son âme, elle voulait qu'il éteigne le feu qui brûlait son ventre. Car il en avait le pouvoir ; elle le savait.

Prise d'une impulsion soudaine, elle s'arracha à leur étreinte, et se redressa légèrement. Elle pivota de façon à lui faire totalement face. À la lueur des flammes, les sourcils d'Ambroise se froncèrent. Il l'observait. Elle aussi le contemplait. Elle le contemplait si fort qu'elle en eut le souffle coupé.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant