Chapitre 12 - Le néant

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Dehors, par l'ouverture pratiquée dans le toit, Lizzie observait les étoiles qui scintillent dans le crépuscule bleu et froid. Elle les voyait à peine ; deux minuscules points qui brillaient à travers la fumée. Dans la petite hutte, les branchages se tintaient des lueurs rougeoyantes du feu. Bientôt, le bois serait entièrement consumé ; bientôt, le ciel se fendrait de rouge et d'or. Et elle ne pouvait rien pour arrêter la course du temps.

— Ton cœur bat si vite.

Lizzie serra les poings.

Lorsqu'elle se leva vers lui, de l'autre côté du feu, le visage d'Ambroise était creusé des ombres que les flammes y inscrivaient. Ambroise connaissait le rythme de son cœur, sa danse affolée dans sa poitrine ; et elle pouvait aussi déchiffrer le sien. Encore quelques heures.

Dieux, cela était si douloureux.

— Je sais, souffla-t-elle.

Ambroise contourna l'âtre pour s'agenouiller à côté d'elle. Sa main, légère mais ferme, s'égara sur son épaule.

— Tout se passera bien. Les Útlends savent ce qu'ils font.

— Je sais, répéta-t-elle.

— Alors tu n'as aucune raison d'avoir peur. Repose-toi.

Elle hocha la tête et se laissa guider par Ambroise. Elle s'allongea à ses côtés. La peur la glaçait, et le corps d'Ambroise lui prodiguait la chaleur qui lui manquait.

— Je suis là, chuchota-t-il dans son dos. Souviens-toi, Je serai toujours là.

Elle se pressa davantage contre lui, et il raffermit sa prise sur sa taille. Il replia le bras qu'il avait passé sous sa tête pour l'enlacer plus fort. Dans cette étreinte de chair, Lizzie se sentit mieux.

Ambroise serait toujours là.

Même lorsqu'elle n'aurait plus de cræft.

Et dans le silence de la nuit, elle écouta la respiration d'Ambroise, et tâcha de se répéter ses mots. Elle valait plus que son cræft. Plus que ses dons. Plus que la lame qu'il avait fait d'elle. Elle l'avait su, autrefois ; quand l'avait-elle oublié ? Elle l'ignorait.

Elle valait plus que tout cela. Elle était plus que tout cela.

Mais Lizzie était épuisée. Elle avait vécu assez de deuils pour une vie entière. Alors comment pourrait-elle seulement trouver la force de porter celui-ci ?

Elle ravala le sanglot qui montait dans sa gorge et s'agrippa à Ambroise. Un instant, ses doigts frôlèrent la peau de son avant-bras, et elle les retira vivement. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu'elle l'avait touché ainsi. Ou plutôt, elle s'en rappelait fort bien. La lumière tamisée du théâtre. Ses doigts sur son poignet. Endors-moi. Plus vite. Recommence. Le bureau de Jan van Stoker. Elle n'avait jamais réussi à endormir Ambroise que par surprise ; ou seulement lorsqu'il le souhaitait. Sa volonté était forgée dans le métal le plus solide.

Ses doigts picotèrent. Imperceptiblement d'abord, puis de façon plus marquée. Elle convoqua le cræft.

— Arrête, murmura Ambroise contre son oreille.

Lizzie serra les dents et raffermit sa prise sur son bras lorsqu'il tenta de se dégager. Elle poussa encore sur son cræft, la sensation familière montant en elle.

— Élisabeth ! Arrête immédiatement.

Sa voix claqua dans la nuit. Mais Lizzie tint bon. Son ton, froid comme la glace, tranchant comme une lame, ne l'atteignit plus. Elle n'était plus une enfant ; elle n'avait plus d'ordre à recevoir de lui.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant