Chapitre 22 - Une fureur et un avertissement

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Quatre ans plus tôt.


C'était le premier jours de l'été. Deux semaines durant, la Pension se métamorphosait, et les orphelins vaquaient à leurs occupations, les uns se rendant auprès de leur fratrie disséminée dans d'autres orphelinats, les autres arpentant Caelian en petits groupes. Lors de ses deux premières années à la Pension, Lizzie avait été ravie de cette période de relâche. Elle avait exploré la cité avec Adélaïde, rit et joué en partageant des collations à l'ombre des chênes qui bordaient les allées des jardins royaux, avait appris à nager dans les criques qui s'étendaient au nord de la ville. Le soleil brûlant venait colorer sa peau pâle et égayer le monde ; cette période d'insouciance était rapidement devenue sa préférée de l'année.

Depuis qu'Ambroise était rentré dans sa vie, elle appréciait toujours l'été ; mais il était bien différent. Parfois, ils se contentaient de s'entrainer dans le théâtre des jours durant, ce qui lui paraissait d'un ennui proprement mortel. Elle ignorait ce qu'il avait prévu ces congés-ci, mais elle priait pour qu'il l'emmenât dans les forêts qui bordaient Caelian comme il l'avait fait l'année précédente.

En cette matinée, Lizzie terminait son petit-déjeuner en compagnie des autres pensionnaires. Les cours trop matinaux de Percival van Klaes étaient suspendus, ce qui la réjouissait autant que la perspective de passer les quinze prochains jours sans avoir à concilier sa vie à la Pension et ses cours avec Ambroise.

Les plus jeunes étaient tous partis jouer dehors, et seuls les plus âgés erraient encore dans le réfectoire.

Clervie, qui passait par là, s'arrêta devant elles.

— Nous nous rendons en ville, avec les autres. Voulez-vous venir ?

Adélaïde hochait déjà vigoureusement la tête.

— Non, fit Lizzie. Je ne peux pas.

Adélaïde planta ses coudes sur la table — Madame Constance, si elle s'était trouvée dans la pièce, l'aurait sans doute rabrouée. Elle décocha une moue boudeuse à son amie.

— Oh, s'il te plait, Lizzie ! Pour une fois !

— Je ne peux pas.

— Tu peux bien, juste aujourd'hui...

— Qu'as-tu d'autre à faire ? renchérit Clervie. C'est les vacances !

— Oh, elle est sûrement trop occupée à être la putain d'Ambroise Auguste, ricana Urias.

Lizzie se pétrifia sous la violence de l'accusation. Ses oreilles bourdonnaient.

En une seconde, tout avait disparu autour d'elle. Il n'y avait plus que le sourire narquois du garçon. Et les mots qu'il avait prononcés.

Le monde vacilla sous ses pieds, et elle réalisa à peine qu'elle s'était levée.

— Pardon ? fit-elle d'une voix tremblante — pathétique.

— Tu m'as très bien entendu. Tout le monde sait ce que tu fais avec lui.

Ses joues la brûlaient.

Suffoquée, Lizzie ne trouva rien à répliquer, pendant qu'Urias lui lançait un regard mauvais.

— Tu crois qu'on te voit pas rentrer à la Pension toutes les nuits ?

Elle était incapable de parler. Incapable de penser.

Elle aurait voulu disparaître.

Non.

Tout ce qu'elle voulait, c'était effacer ce rictus. Lui faire ravaler les mots qu'il venaient de prononcer. Laver l'humiliation qu'il lui infligeait.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant