Chapitre 16 - L'imprudence

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Au matin, ils s'étaient écroulés dans les hautes herbes d'une clairière. Ils étaient tous deux exténués par leur longue marche et par la chaleur qui montait dans le ciel. Lizzie n'avait pu résister au sommeil qui s'était abattu sur elle, et, pour une fois, Ambroise leur avait autorisé de longues heures de repos, avant de reprendre la route jusqu'à la nuit tombée.

Ensuite ? Lizzie avait perdu le fil de jours et celui des nuits.

Tout ce qu'elle ressentait s'emmêlait, et elle s'embourbait de façon inextricable dans l'écheveau de sa colère.

Quand les ténèbres s'épaississaient, Lizzie se chargeait d'allumer un feu. Pendant ce temps, l'obscurité tout juste éclairée par son cræft, Ambroise partait poser des collets qu'ils récoltaient lorsque l'aurore s'installait à nouveau, après une nuit éreintante. Parfois, il tendait à Lizzie au matin venu une dose de krafjane. Et ils marchaient à nouveau.

Encore et encore.

Chaque nuit, le ballet infernal des morts et du sang et du feu recommençait. Chaque nuit, elle revoyait le village Útlend et les armes ardrasiennes luisant sous le soleil. Lizzie aurait cru que les cauchemars cesseraient avec le rituel. Mais ils étaient toujours là. Chaque nuit.

J'aurais préféré mourir, se dit-elle une nuit où elle fixait les étoiles.

La pensée résonna dans le silence assourdissant qui l'entourait.

Lizzie la balaya avant qu'elle ne puisse s'y graver. Elle était en vie. Et tous ces destins cruels dont les images sanglantes peuplaient les ténèbres et ses songes ? Elle trouverait un moyen de se racheter.

Comme à chaque fois que ses yeux s'ouvraient dans l'obscurité, Lizzie tremblait.

De froid.

De culpabilité.

Et de manque.

Elle se sentait si vide. Une fois seulement, elle voulait connaître quelques instants de sérénité.

La nuit s'écoulait trop lentement, et elle ne parvenait plus à dormir. Lizzie écouta la respiration d'Ambroise à côté d'elle et elle songea à la bourse de krafjane qu'il avait dans son manteau. Dans quelques heures, elle pourrait glisser la poudre entre ses lèvres. Son seul réconfort. Cela lui paraissait une éternité.

Jadis, il lui avait appris l'art du vol. À la Cour, elle avait volé des secrets comme des diamants. Oh, le but de l'exercice n'avait jamais été de faire d'elle une voleuse. Si tu peux dérober un objet de valeur à un homme sans qu'il ne remarque rien, alors tu peux aussi verser du poison dans son verre, ou planter un couteau dans son cœur sans qu'il s'en aperçoive.

Tout résidait dans la rapidité. Il fallait être plus vif qu'un courant d'air. Une seconde, voilà tout ce que cela devait prendre.

Elle repoussa le vertige qui s'emparait d'elle. Elle pouvait voler les autres. Elle pouvait tuer les autres. Mais Ambroise ? Dans leurs entraînements, il attrapait sa main presque à chaque fois. Mais après tout, il ne l'avait pas non plus entraînée pour qu'elle le tue et pourtant, elle avait bien failli y parvenir à Fort-Rijkdom : elle aurait pu viser son cœur au lieu de viser son bras, et rien n'aurait arrêté son tir.

Le souffle court, elle jaugea à la lueur des flammes le visage de son mentor endormi.

Il avait profité de sa faiblesse pour lui dérober la poudre, mais elle pouvait la lui reprendre.

Millimètre après millimètre, elle releva le pan du manteau qui recouvrait son torse, pendant que son autre main s'avançait. Là, tout contre son cœur, un renflement dans la doublure du tissu.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant