Épilogue

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Trois mois plus tard


Ambroise expira l'air contenu dans ses poumons. Ses tympans l'élançaient douloureusement. Il percevait le bruissement du vent à l'extérieur, le chant des oiseaux dans l'atmosphère chaude de l'été. Il entendait aussi les pas de Lizzie sur les graviers, qui se hâtait vers le vieux théâtre.

Elle était en retard.

Un voile de poussière avait recouvert la scène. Ambroise fixait le décor face à lui. Le palais en stuc était défraîchi par les années, abîmé par les dizaines de combats qui avaient eu lieu sur les planches. Il aurait voulu se souvenir de chacun d'eux ; mais ils s'étaient déroulés il y avait de cela ce qui lui semblait une éternité. Et la longue salle de l'édifice désaffecté qui avait contenu tout son univers des années durant lui paraissait désormais minuscule, à la lueur des lampes à cræft qui en creusaient les ombres et les recoins.

Il n'aurait jamais cru revenir en ces lieux. La pensée même des innombrables heures qui s'étaient écoulées en cet endroit – en un battement de cil – l'avait, des mois durant, fait frémir de colère. Puis de dégoût. Et cet espace lui était tour à tour apparu comme le tombeau de ses ambitions, puis comme le témoin éclatant de sa propre stupidité.

Ambroise avait quitté la caserne un an et demi plus tôt, pour rejoindre le Pays d'en Haut et retrouver Lizzie. Il n'avait alors, en vérité, dit à personne où il se rendait – car qui aurait-il pu prévenir ? Qui aurait pu seulement comprendre ? Il avait simplement pris son arme et avait embarqué à bord du premier navire en partance pour Fort-Rijkdom. Et lorsqu'il était revenu sous le ciel de Caelian, des mois plus tôt, il avait consciencieusement évité la partie des jardins royaux où se nichait le bâtiment. Il n'aurait su dire si sa vue, désormais, l'emplissait de honte ou d'une profonde nostalgie. Ambroise ne pouvait dénier qu'ici, sur les planches de ce théâtre qui n'existait que pour eux deux, il s'était senti vivant. Et heureux.

Le grincement insolent de la porte, dans son dos, interrompit ses pensées, puis l'écho des bottes sur le sol de pierre. Un silence. Ambroise ne put réprimer le sourire amusé qui passa sur ses lèvres lorsqu'il perçut le froissement caractéristique de sa robe.

— Bonsoir, Ambroise.

Ambroise se retourna au moment où Lizzie se relevait de sa révérence.

— Bonsoir, Élisabeth, fit-il en s'inclinant.

Lorsqu'il se redressa, Ambroise eut le souffle coupé. Elle avait troqué sa robe noire de deuil pour une tenue ciel d'orage. Les rubans qui ornaient autrefois ses cheveux d'enfant avaient disparu, mais Ambroise savait qu'elle portait à son cou une étoffe noire, symbole de son veuvage. Lizzie arborait un couvre-chef qui dissimulait son visage d'un voile sombre – une précaution qu'elle prenait toujours lors des rares sorties qu'ils s'étaient octroyées dans les jardins royaux. Elle l'ôta et le déposa sur la table, avec l'hésitation maladroite de ceux qui tentent de se réapproprier un lieu qu'ils ont quitté depuis trop longtemps. Ce fut là que le regard de Lizzie tomba sur la liasse de journaux qui trônaient sur la table. Il entendit son cœur bondir à la vue des feuilles soigneusement empilées.

Ses yeux, lorsqu'ils s'accrochèrent enfin à ceux d'Ambroise, étaient si vibrants d'émotion que sa propre gorge se noua. Il hocha la tête en réponse, et elle s'approcha des gazettes, lentement, sa main libre arrimée à la table avec tant de force qu'elle semblait vouloir briser l'univers.

Ambroise l'observa lire. De sa coiffure s'échappaient quelques mèches folles, qui tremblaient sous le souffle s'échappant de ses lèvres entrouvertes. Il percevait le vacarme du froissement du papier, sa respiration précipitée, le tonnerre de son cœur qui pulsait dans sa poitrine – puis qui vacilla face aux lettres noires qui s'étiraient sur la page.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant