Chapitre 35 - Échec et mat

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Il était tôt. Affreusement tôt.

Lizzie s'était autorisée une tasse de thé et une pincée de krafjane. La première qu'elle prenait depuis des jours.

Depuis, elle faisait les cent pas dans le salon. Elle avait la confuse impression d'être de retour à Caelian. Comme toutes ces fois où elle avait tué – ou essayé de tuer. À attendre les commentaires d'Ambroise et à craindre ses regards. La plupart du temps, c'était lui qui se portait à sa rencontre : c'était encore pire ainsi, lorsqu'elle ignorait quand il allait surgir.

Maintenant, Lizzie était certaine d'une chose : elle préférait mener la danse.

Et lorsqu'Ambroise franchit le seuil du salon, elle était prête.

— Je suis désolée de vous avoir déç...

Il leva sa main d'un geste péremptoire. Et elle s'arrêta net. Elle détestait cela – ce pouvoir qu'il avait sur elle et duquel elle ne parvenait pas à se défaire tout à fait.

— C'est moi qui suis désolé. J'ai présumé de vos capacités.

Son cœur sombra dans sa poitrine.

J'ai présumé de vos capacités. Elle l'avait déçu. Cela lui fit plus mal que n'importe quelle remontrance.

Mais elle pouvait arranger les choses. Elle le pouvait.

— La prochaine fois se passera différemment. Je vous le promets.

— Je suis heureux de te l'entendre dire.

Et elle était heureuse de l'entendre la tutoyer à nouveau.

— Je crains qu'une ville ne soit pas l'endroit idéal où manier une arme à feu, ajouta-t-elle. Je crois... je crois que je préférerais le poison.

— Je suppose que Van Stoker n'a pas conservé les vôtres.

— Ils ont été saisis par la garde. Mais je suis certaine que Hammond possède tout ce qu'il faut dans son officine.

— À ce propos, j'ai égaré votre krafjane. J'en suis navré.

Le cœur de Lizzie rata un battement. Elle était certaine qu'Ambroise l'avait perçu. Mais au moins prendrait-il son émoi pour de la détresse. Pas pour de l'horreur. La bourse de krafjane, récupérée par Belvild, se trouvait dans sa poche.

— Cela ne fait rien. Hammond... s'en est procuré, sourit-elle en désignant sa tasse.

Mentir à Ambroise en le regardant dans les yeux, comme elle le faisait en cet instant, était une des choses les plus difficiles en ce monde. Elle devait faire diversion avant de s'empêtrer dans son mensonge, avant qu'il ne puisse déchiffrer la crispation de son corps. Elle montra d'un mouvement du menton la table, et l'échiquier qui s'y trouvait.

— Jouerez-vous, Ambroise ?

Il la contempla quelques secondes sans répondre. Lizzie déglutit. L'avait-il percée à jour ? Elle savait bien qu'il pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. Il le lui avait assez prouvé.

— Volontiers.

Lorsqu'ils jouaient, tous les deux, c'était dans les courants d'air du théâtre désaffecté. Il gagnait toujours. C'est une bataille, ni plus ni moins, expliquait-il lorsqu'elle délaissait le plateau après avoir perdu. C'est pour cela que je gagne, et que vous perdez.

Mais je sais me battre.

Peut-être, mais vous n'avez pas, vous n'aurez jamais besoin de combattre.

La stratégie. Il lui avait bien inculqué les bases — celles dont elle avait besoin pour survivre —, mais, contrairement à lui, elle n'avait guère besoin de savoir comment remporter une bataille. Elle avait juste à avancer là où on le lui ordonnait. Un pion, en vérité, déplacé par une main invisible.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant