Chapitre 50 - Geardham

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Elles se tenaient devant la demeure d'Ascelin de Glaves. Lizzie n'avait guère eu l'occasion de la contempler, la dernière fois. Elle se souvenait de l'abondance de Scinanham, la demeure d'Ulrik Redstig ; Geardham était deux fois plus grande, et dix fois plus luxueuse. Il lui semblait voir une reproduction du Palais de Caelian.

Lizzie déglutit. Si le Palais était le lieu de son enfance et des souvenirs heureux, Geardham, lui était celui de ses pires cauchemars. Il lui semblait que chaque pierre suintait d'une aura maléfique.

— Prête ? chuchota Clervie.

Elles se retournèrent vers le fiacre qui les attendaient au bout de la rue. Lizzie discernait à peine les silhouettes de Jan et de Hammond.

— Oui, je crois. Nous sommes d'accord : tu entres avec moi, et tu ressors sans t'attarder.

— Je persiste à penser que je devrais rester avec toi.

— Non. J'agirai plus efficacement seule. Je me débrouillerai pour sortir.

— Mais...

— Non, Clervie. Tu ne feras que me gêner, et je ne veux pas que tu assistes à cela.

— J'ai assisté à bien pire, rétorqua-t-elle – et Lizzie pouvait presque voir le souvenir des flammes danser dans ses yeux. Mais soit.

Elle attrapa sa main. Il y eut la sensation particulière du cræft picotant sa peau, si vive et si familière, si lointaine, que la gorge de Lizzie se serra. À côté d'elle, Clervie avait disparue. Mais elle sentait toujours ses doigts dans les siens, et c'était là la chose la plus incongrue qui soit.

— Voilà, dit Clervie.

— Ils peuvent toujours nous entendre ?

— Oui. Ne me lâche pas la main, s'il te plaît. Dans l'état de nervosité dans lequel je suis, je ne suis pas sûre de réussir à maintenir le cræft si tu es loin.

— Je ne te lâcherai pas.

Lizzie effectua quelques pas.

— Clervie... Comment as-tu appris cela ?

— Je n'ai pas appris. C'est un don, comme toi lorsque tu endormais les autres, à la Pension.

— Non, je le sais. Mais... Tu t'es déjà servie de ton don ainsi ? Pour te rendre invisible ?

Clervie, quelque part dans l'espace qui l'environnait, eut un rire.

— Bien sûr que je m'en suis servie.

— Pourquoi ?

— Pour me sentir libre, je suppose. Errer dans les couloirs de la Pension en pleine nuit. Dans les jardins, parfois. Jusque dans Caelian, aussi.

Lizzie eut un mouvement de stupeur.

— Jusque dans Caelian ?

— Je ne me suis jamais fait prendre, contrairement à toi. Par tous les dieux, j'ai rarement vu madame Constance aussi furieuse !

Lizzie secoua la tête pour chasser les images qui tourbillonnaient dans son esprit. Elle n'avait pas le moins du monde envie de songer à ce jour. À Aubin. À la colère, à la sévérité d'Ambroise. Car tout, lorsqu'elle évoquait son passé, la ramenait à lui. Tout. Et dieux, cela était douloureux.

— Enfin, tu vois, poursuivit Clervie, ce n'est pas la première fois que je passe devant des gardes en douce. Ne t'inquiète pas.

Lizzie inspira. Expira. Mais aucun des exercices de respiration que lui avait appris Ambroise – Ambroise, toujours – ne semblait faire effet face à l'inquiétude qui la submergeait.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant