On lui avait ôté ses chaînes, et Lizzie n'avait pas la moindre idée de la façon dont elle avait atterri dans cette pièce. Elle n'avait rien d'une cellule. Depuis de longues minutes, la jeune femme fixait cet étrange environnement qui l'entourait.
C'était une chambre, une véritable chambre, pourvue d'un lit à baldaquin gigantesque et de draps pourpres aussi fuyants que de la soie sur lesquels elle s'était réveillée quelques instants plus tôt. Les volets étaient clos, diffusant par les interstices une pâle lumière qui ne lui permettait pas de déterminer l'heure qu'il pouvait être. La fenêtre était verrouillée par un complexe mécanisme qu'elle aurait bien été en peine d'ouvrir sans cræft.
Les murs de stuc étaient éclairés par des chandeliers dorés et des lampes à cræft. L'orange du feu et le bleu de la lumière se mêlaient. Il y avait aussi une baignoire remplie d'eau brûlante qui l'attendait, comme si quelqu'un avait fait jaillir le liquide par la force de son cræft à peine quelques secondes avant que Lizzie ne s'éveille. Il y avait enfin, pliée sur le lit, une robe à la blancheur immaculée, et une brosse à cheveux. Lizzie caressa le manche de bois, si doux sous la pulpe de ses doigts qu'il en paraissait irréel. Et tout à coup, elle se souvint de la façon dont Ambroise avait, tant et tant de fois, arrangé sa chevelure. Il n'y avait pas de miroir dans la pièce – rien, soupçonnait-elle, qui fût tranchant. Mais Lizzie était certaine que ses cheveux étaient désormais emmêlés et sales, et avaient perdu toute leur splendeur d'antan. Lizzie repoussa au fond d'elle-même le sanglot qui menaçait. Il était stupide de pleurer pour si peu. Cela était idiot de verser la moindre larme, tout simplement. Elle devait se ressaisir. Et vite.
Son corps était incroyablement faible et ses jambes flageolantes, mais elle parvint à se trainer jusqu'à la baignoire. Lizzie déchira les haillons qu'elle avait sur le dos, et s'engouffra dans l'eau chaude sans plus attendre. C'était des gestes simples, familiers. L'eau soulageait son corps et vivifiait tant que faire ce peut ses pensées encore embrumées par le sommeil dans lequel elle avait été plongée.
Car elle devait réfléchir, et vite. Mais son esprit butait sur ses souvenirs. Elle se rappelait la cour de la prison, d'Ambroise, les mains des gardes qui l'empoignaient pour la faire sortir puis le carrosse aux rideaux tirés. Ensuite ? Le néant. On l'avait peut-être droguée. Elle ne pouvait en être certaine.
Lizzie flotta un long moment dans le bain. De toute façon, elle n'avait pas la force de faire autre chose, et elle n'avait guère d'autre occupation. Le temps s'étirait, se repliait sur lui-même. Lorsque l'eau fut froide, elle s'en extirpa. Elle avait terriblement faim, une sensation qui creusait ses entrailles avec férocité et qui rendait chaque mouvement plus pénible que le précédent. Lizzie connaissait la faim ; elle l'avait tenaillée des mois durant lorsqu'elle était enfant. Mais plongée dans le calme paisible de la Pension, elle en avait oublié les traits et l'amère douleur.
Elle finissait de s'habiller lorsque un vacarme résonna au-delà de la porte. Tous les sens en alerte, elle se figea.
Un ballet de domestiques envahit tout à coup la pièce. On dressa une table sur des tréteaux, on disposa une nappe blanche. Des plats y furent déposés – si nombreux qu'ils auraient pu nourrir une famille du quartier des Teinturiers pendant une décade, si nombreux que Lizzie en eut un haut-le-cœur. Le tintement de la vaisselle et des plats, l'étourdissement des effluves et des bruissements d'étoffes lui donna le vertige.
Puis, aussi brusquement qu'ils étaient apparu, les domestiques s'éclipsèrent. Lizzie aurait pu les avoir rêvés si seulement la table couverte de victuailles ne trônait toujours au centre de la pièce. Elle s'approcha lentement, avec l'impression d'être sur le point de défaillir à chaque instant. Exactement comme autrefois, lorsque les effluves du pain chaud flottaient dans les airs aux détours d'une ruelle, la narguant si douloureusement qu'elle croyait en mourir. Elle dut recourir à toute sa volonté pour ne pas se jeter sur les plats. Ses yeux bondirent sur les couverts d'or et d'argent.
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La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en Haut
Fantasía[Tome 2] Au Pays d'en Haut, la guerre menace. Lizzie, affaiblie par la colère du dieu sombre, a quitté Fort-Rijkdom. Elle ne pourra échapper éternellement au sort qui l'attend, comme à ceux qui la poursuivent. Le temps est compté, et chaque seconde...