Chapitre 24 - Le poids du temps

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Et tout se déroula mieux que Lizzie l'avait escompté. Passées les premières heures où la panique la rattrapait par instant, elle avait fini par s'habituer à la présence de l'eau autour d'elle.

Ambroise ne parlait pas beaucoup. Il passait le plus clair de son temps sur le pont, à discuter avec les rares aux passagers et avec l'équipage, tâchant, supposait-elle, de prendre le pouls de Fort-Rijkdom avant qu'ils n'atteignent la cité. Lizzie se retrouvait donc seule dans leur cabine – de toute façon, il n'aurait été guère prudent qu'elle se montre à visage découvert. La solitude ne la dérangeait pas. Elle avait été seule assez longtemps ; non, au fond, elle l'avait été toute sa vie, n'eût été la compagnie d'Ambroise. Là, au moins, dans le silence, elle pouvait réfléchir à sa vengeance.

Lizzie, elle, profitait également de ces jours de repos contraint pour reprendre des forces. Sa blessure à sa jambe n'était presque plus qu'un mauvais souvenir, tant le cræft d'Ambroise faisait des miracles dans les rares moments où il venait lui tenir compagnie. Or de sa présence, elle n'avait guère de passe-temps. Cela l'arrangeait. Lizzie était exténuée. Ce n'était pas seulement le contrecoup de leur fuite effrénée, de sa longue déchéance ou de la perte de son cræft. Non. Elle pressentait que son épuisement prenait racine dans un temps bien plus profond. Elle avait l'impression qu'elle accumulait près de dix ans de fatigue. Dix ans de journées qui commençaient bien avant que le soleil se fût levé et bien après que la lune eût repris ses droits sur le ciel. Dix ans d'exercice implacable qui avait modelé son corps et son esprit, affûté sa volonté et forgé sa résistance. Dix ans de responsabilités trop lourdes à porter, dix ans d'une promesse qui marquait sa chair d'une encre indélébile. Désormais, elle en avait assez.

Alors, lorsqu'elle n'ourdissait pas sa vengeance, Lizzie passait la majeure partie de ses journées et ses nuits à dormir. Ce fut lors d'une de ses torpeurs ensommeillées qu'elle entendit les pas d'Ambroise marteler le sol. Il s'accroupit à côté d'elle et la secoua doucement. Le cœur de Lizzie fit un bond dans sa poitrine ; pas d'inquiétude, mais plutôt d'espoir. Un espoir fou. Le même espoir qui rongeait son être dès que sa peau frôlait celle d'Ambroise, en vérité.

— Lizzie, chuchota-t-il.

Elle se tourna mollement vers lui. Sa vue lui serra le ventre. Son visage se découpait à la lueur de la lampe à cræft qu'il avait allumée.

— Prépare-toi. Nous allons entrer dans Fort-Rijkdom.

Lizzie glissa un regard vers la lucarne qui donnait sur les eaux noires du fleuve. Elle s'était endormie peu après le dîner, et désormais l'obscurité régnait en maître.

— Il fait nuit, protesta-t-elle.

— Non, c'est le matin. Nous serons parmi les premières embarcations à entrer dans la ville. Autant rester discrets, et profiter de l'obscurité pour arpenter les rues.

— Mais...

— Pas de discussion. Je sais ce que je fais.

Bien sûr qu'il le savait, songea Lizzie avec amertume. Il avait toujours su mieux qu'elle et il le lui faisait suffisamment comprendre. Et elle ne savait même pas pourquoi elle argumentait. Peut-être parce qu'elle détestait, précisément, qu'il soit aux commandes. Elle ravala sa colère.

Avec un soupir, Lizzie se leva et entreprit de passer jupons et corset par-dessus sa chemise. Ses gestes étaient maladroits, sans qu'elle ne put dire où se terminait la fatigue et où commençait la nervosité. Car elle était indéniablement nerveuse.

— Et où irons-nous ensuite ? s'enquit-elle. Il nous faudra bien un endroit où nous dissimuler à l'intérieur de la ville.

— Vous n'y songez que maintenant.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant