Chapitre 39 - Tout ce qui est perdu

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Les murs blancs de la kirk se détachaient dans la nuit ; les statues en bronze qui ornaient la place la jouxtant, elles, étaient éclairées par un savant jeu de lumières. Les pavés étaient humides de la pluie d'été qui s'était abattue dans la journée et qui tombait encore à verse, et Lizzie fit un écart pour éviter la flaque d'eau qui scintillait à la lueur d'une lampe à cræft. Elle descendit un peu plus le capuchon de sa cape sur son visage lorsqu'une diligence passa avec fracas à côté d'elle.

Elle n'avait que peu de fois eu l'occasion d'admirer Faldenburg sous cet éclairage nocturne. Les maisons serrées le long des canaux, et les lumières des rares fenêtres se reflétant dans les flots paisibles, aussi lisses que de l'huile.

Lizzie était tout à coup bien trop consciente de l'absurdité de ce qu'elle était en train de faire. Elle avait insisté pour sortir. Elle ne supportait plus l'enfermement auquel elle était contrainte. Et puis, elle voulait se rendre chez Jan van Stoker. Il y avait une chose qu'elle voulait récupérer. Car il lui fallait désormais se dépêtrer du jeu qu'elle jouait avec Ambroise et du marché qu'elle avait conclu avec Belvild. Et elle n'y parviendrait pas seule.

Ambroise.

Il marchait d'un pas vif, et elle était presque obligée de courir pour rester à son niveau. Elle détestait lorsqu'il faisait cela. Son corps n'avait pas récupéré des mois de souffrances qui lui avait été infligés — la douleur l'affligeait encore, et elle sentait poindre dans sa chair le besoin impérieux d'ingérer une pincée de krafjane — et ses poumons et sa gorge la brûlaient. Une douleur infernale irradiait de son flanc.

Ambroise avait été catégorique : il venait avec elle, ou elle ne sortirait pas. Elle avait ravalé les remarques acerbes qui étaient montées à ses lèvres. Elle le regrettait, à présent. Mais ici ? En pleine rue ? Elle n'avait pas la moindre envie de hausser le ton ni de se disputer avec lui. Elle en avait encore moins envie depuis les instants qu'ils avaient partagés ces derniers jours.

— Ralentissez, haleta-t-elle néanmoins.

— Nous n'avons pas le temps. Tu es recherchée.

— S'il vous plaît ! Je ne peux plus... respirer.

Avec un soupir, il s'arrêta. Lizzie fit de même en pressant une main contre ses côtes.

— Ce n'est pas ainsi que tu tueras Belvild.

Elle lui renvoya un regard noir. D'une part parce qu'il la vouvoyait. D'autre part parce qu'elle lui en voulait d'évoquer un tel sujet en cet instant. Ne pensait-il donc jamais à rien d'autre qu'à son devoir ? Elle supposait que non. Ces dernières années, chacune de ses journées lui avaient été consacrées. Certaines habitudes n'étaient pas aisées à perdre. Comme le réflexe qui fit reculer Lizzie lorsqu'il avança brutalement vers elle.

Il posa ses mains sur ses épaules, si doucement qu'elle les sentit à peine. Comme s'il avait peur de la briser.

— Nous pouvons rentrer, si tu préfères.

— Non, rétorqua-t-elle. Nous y sommes presque.

Elle contempla la kirk. Elle était venue ici, une fois. Elle y avait reçu la lettre lui commandant de tuer Ulrik Redstig. Comme elle était naïve, alors ! Lorsqu'elle croyait encore qu'il ne s'agirait qu'une d'une question de mois avant de rentrer en Ardrasie, lorsque son seul souci était d'accomplir sa mission et de rendre Ambroise fier d'elle – car elle devait se l'avouer, cela avait été sa motivation.

Ambroise.

Elle leva les yeux vers lui, et sa respiration se coupa tout à fait.

Il était si près d'elle. Son regard se posa sur ses lèvres, malgré elle. Le souvenir de sa chair contre la sienne ; de l'insistance et de la fougue de leur baiser. Le désir qui palpitait dans son ventre. Il lui sembla qu'il s'approchait encore, se penchant dans l'espace – si mince – qui les séparait. Ses prunelles rivées sur les siennes, et qui lisaient son âme avec tant d'acuité.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant