Dehors, il pleuvait à verse, et le fracas de l'eau ruisselant sur le toit de zinc emplissait l'espace. Il était par ailleurs affreusement tard. Ils avaient quitté la demeure de Clervie à la nuit tombée pour rejoindre l'officine de Hammond, un local étroit tout juste discernable par la couleur verdâtre de sa porte et par le heurtoir en forme de serpent qui y était fixé. L'arrière-boutique était si étroite que Lizzie se retrouvait coincée entre Jan et Ambroise. Le lieu, avec son odeur de plantes séchées, lui faisait penser à l'infirmerie de la Pension.
Lizzie tâchait de juguler sa respiration, en songeant à toutes les fois où elle avait atterri dans un lit de l'infirmerie. Il y avait eu cette fois où elle s'était fracturé le poignet lors d'un entraînement, et où Ambroise avait prétexté qu'elle avait glissé sur une plaque de verglas. Il y avait cette autre fois où une maladie avait frappé les pensionnaires et une bonne partie de la cour.
Voilà plus d'une heure qu'ils attendaient Carlton Belvild. Lizzie était parvenue à contenir son inquiétude jusqu'à présent ; c'était sans compter la soudaine crispation d'Ambroise, quelques instants plus tôt. Une crispation que nulle autre qu'elle n'avait pu discerner, mais qui annonçait, elle le savait, l'arrivée imminente de Belvild.
Ambroise n'aimait pas son plan et elle ne l'ignorait pas. Mais tout ce qui importait à Lizzie, pour l'heure, fût qu'il ne découvrît pas la vérité. Qu'il ne perçût pas le mensonge dans ses yeux, dans sa voix, dans quoi que ce fût qui pourrait la trahir.
Lorsque Carlton Belvild franchit la porte de l'arrière-boutique, Lizzie ne put empêcher ses mains de trembler.
— Madame, dit-il. Je suis heureux de vous revoir.
Lizzie se leva. Elle tendit sa main gauche, où la bague de saphir avait remplacé son alliance et que Belvild embrassa.
— Le plaisir est partagé.
Il eut un rictus – fugace – puis se tourna vers Ambroise.
— Monsieur, dit Belvild en s'inclinant.
Ambroise s'était levé. Sa main, Lizzie l'aurait juré, venait de s'envoler à son côté à la recherche d'un pistolet. Cependant, Hammond et Jan avaient insisté pour qu'ils se séparent de leurs armes. Lizzie n'en conservait qu'une, celle que personne n'avait songé à – ou osé – lui demander : la dague qui ceignait sa cuisse.
Ambroise laissa retomber son bras et le salua en retour.
Ils prirent tous place autour de la table.
— Jan vous a-t-il informé de l'objet de notre entrevue ? attaqua Lizzie.
— Absolument.
Lizzie prit une profonde inspiration.
— Fort bien. Si nous collaborons, je veux que les termes soient clairs. Pour tous ceux ici présents.
Coudes appuyés sur la table, Carlton Belvild joignit ses mains devant lui et y posa son menton, l'air attentif. Il ne quittait pas Lizzie des yeux, et elle aurait juré voir dans ses prunelles une vague inquiétude.
Il la laissait ouvrir la partie, et elle ne se priverait pas du privilège qu'il venait de lui accorder.
Lizzie décocha un regard vers Ambroise. Il lui renvoya un hochement de tête imperceptible.
— J'ai cru comprendre, monsieur, dit-elle, que vous aviez essayé de m'adresser un message.
— Et j'ai cru comprendre, madame, répliqua Belvild, que vous aviez vous-même tenté de m'en envoyer un. Il m'est d'avis que vous n'êtes guère douée au tir.
Lizzie vacilla.
— Vos méthodes, répliqua-t-elle, sont tout aussi discutables que les miennes.
Ambroise se raidit. Piètre répartie. Lizzie serra les dents.
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La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en Haut
Fantasi[Tome 2] Au Pays d'en Haut, la guerre menace. Lizzie, affaiblie par la colère du dieu sombre, a quitté Fort-Rijkdom. Elle ne pourra échapper éternellement au sort qui l'attend, comme à ceux qui la poursuivent. Le temps est compté, et chaque seconde...