Chapitre 25 - Un cœur brisé

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Fort-Rijkdom.

Lizzie n'aurait jamais cru arpenter à nouveau ces rues un jour. La cité était telle que dans ses souvenirs ; inchangée. Lizzie avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée. Pour autant, les mêmes bâtiments s'élevaient, serrés le long des canaux du quartier doré dans lequel elle s'enfonçait aux côtés d'Ambroise.

Il avançait d'un pas vif, si rapide que Lizzie devait presque courir à ses côtés pour se maintenir à sa hauteur.

— Où allons-nous ? haleta-t-elle.

Ambroise ne répondit pas.

— Ambroise ! Répondez-moi !

Elle détesta le ton plaintif de sa voix. Mais elle ne pouvait l'empêcher ; elle était exténuée.

— Dans un endroit où nous serons en sécurité.

—Vous avez promis de ne plus prendre de décision à ma place !

— Considère, dit-il, que celle-ci sera la dernière.

Elle faillit rétorquer. Mais elle se tut. Elle venait de reconnaître la place où ils se trouvaient, ornée d'une élégante fontaine et de chênes. À sa droite, au fond de l'impasse... La demeure de Brenn Ryder. La demeure de Clervie, si elle y vivait toujours. Bien sûr qu'elle y vivait toujours. Elle y avait trouvé l'amour ; elle n'avait aucune raison d'en partir.

Ambroise jeta un regard à Lizzie. Lizzie songea à sa dernière discussion avec Clervie. Une dispute.

Tu étais mon amie. Je le croyais, je le croyais vraiment. Mais tu n'étais qu'une illusion.

— Brenn et Clervie n'accepteront pas de nous recevoir, fit-elle.

Ambroise ne répondit pas et frappa à la porte. Le jour se levait à peine et leurs silhouettes étaient encore noyées dans le crépuscule, mais il était clair qu'il ne désirait pas s'attarder en pleine rue.

Une domestique vint leur ouvrir. Lizzie avait su son nom, mais elle était incapable de s'en rappeler. Les mois passés à Fort-Rijkdom lui semblaient noyés dans un brouillard. Lorsque la femme vit Ambroise, elle s'effaça pour les laisser entrer. Elle jeta à peine un coup d'œil à Lizzie, et les guida dans le salon de réception.

Une éternité plus tôt, Lizzie se souvenait s'être effondrée dans cette pièce, terrassée par la douleur infligée par Mercyng. Et puis, Hammond Trygve lui avait donné... L'envie d'ingérer une pincée de krafjane monta en elle, si impérieuse qu'elle en eut le vertige. Ses poings se crispèrent, et un filet de sueur coula dans son dos. Sa dernière prise remontait à deux jours ; elle pouvait tenir plus longtemps que cela, elle l'avait déjà fait. Mais...

Elle se tourna vers Ambroise. Celui-ci fronça les sourcils devant sa soudaine pâleur.

— Lizzie ?

Elle n'eut pas le temps de parler. Clervie entra dans la salle dans un tourbillon de jupes sombres.

— Mes dieux !

Et Clervie se jeta dans les bras d'Ambroise.

Lizzie, elle, ne parvint tout à coup plus à penser.

Tout ce qu'elle voyait, c'était les bras d'Ambroise qui s'étaient refermés sur le corps de Clervie dans une étreinte sincère.

Quelque chose laboura son cœur.

Puis, par-dessus l'épaule d'Ambroise, le regard de la jeune femme se posa sur elle. Il n'y avait rien de chaleureux dans ses iris et Lizzie blêmit.

— Élisabeth ? souffla-t-elle.

La Lame des Bas-Royaumes / 2 - La Guerre du Pays d'en HautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant