7. Faire face au passé

431 23 0
                                    

James Buchanan Barnes avait connu son lot de traumatismes en plus de cent ans d'existence et en avait même accumulés pour ses vies à venir. Se battre au front lors de la Deuxième Guerre mondiale n'avait pas été assez, il lui avait fallu tomber entre les mains d'HYDRA, où il avait supporté pendant plus de 70 ans des tourments inhumains. On lui avait fait perdre son identité, son libre-arbitre et sa mémoire, puis on s'était servi de son enveloppe vidée et brisée pour y insérer les pensées de quelqu'un d'autre que lui, un être sans cœur et sans volonté propre sur lequel il n'avait aucun contrôle. On lui avait volé la dernière possession qu'il lui restait : l'emprise sur son propre corps.

Il avait enduré cette torture indéfinissable pendant plus d'un demi-siècle, s'était vu traquer, enlever et tuer pour le compte d'hommes qu'il avait juré d'arrêter lorsqu'il était encore en liberté, mais dès qu'il retrouvait le contrôle de ses mouvements et de ses pensées, ce n'était que pour ressentir le froid mordant de la cryogénisation ou encore pour entendre les mots maudits, ceux qui avaient fait de lui le monstre qu'il voyait à présent à toutes les fois qu'il se regardait dans un miroir.

"Желание. Семнадцать. Ржавый. Рассвет. Печь. Девять. Добросердечный. Возвращение на родину. Один. Товарный вагон."

Pendant longtemps, tout espoir avait semblé perdu. Il était le pantin d'HYDRA et rien ne pouvait le soustraire à son triste sort excepté la mort, celle qu'il souhaitait un peu plus ardemment à chaque fois qu'un nouveau maître le sortait de son cryosommeil. Puis, HYDRA commença à travailler en collaboration avec la Chambre Rouge et son univers empli de douleurs et de peines perpétuelles avait trouvé un moment de répit.

Elle était alors connue sous le nom de Natalia Alianovna Romanoff, l'une des plus célèbres assassins du KGB et l'une des rares survivantes du projet Black Widow. Le Soldat de l'Hiver et elle s'étaient rencontrés sur le terrain, avaient accompli plusieurs missions ensemble et lors d'un mandat particulièrement ardu en Algérie, l'impossible se produisit : Bucky parvint pour la première fois à reprendre le dessus sur le Soldat de l'Hiver et retrouva le contrôle de son corps suffisamment longtemps pour sauver la vie de la Veuve Noire et enfreindre la loi la plus sacrée d'HYDRA : ne pas s'attacher à qui que ce soit. Ils passèrent les cinq jours suivants cachés dans une ferme abandonnée en banlieue de Constantine pour échapper au camp ennemi qui les surpassait sur tous les plans, et entre les coups de feu, les détonations des bombes et les cris d'agonie, ils tombèrent amoureux.

Pour la première fois en plus de soixante ans, une personne s'intéressait uniquement à lui, Bucky Barnes, plutôt qu'à l'arme humaine que représentait le Soldat de l'Hiver. Pour la première fois depuis qu'il était tombé entre les mains d'HYDRA, il s'était senti aimé, il avait eu l'impression d'avoir de l'importance, d'être réellement plus que l'enveloppe vide que ses persécuteurs l'avaient conditionné à devenir. Natalia l'avait touché avec douceur là où on l'aurait habituellement rué de coups, elle l'avait écouté attentivement alors qu'il n'avait jusqu'alors connu que les visages fermés et l'attitude glaciale de ses employeurs, elle l'avait appelé par son véritable nom alors qu'il y avait bien longtemps qu'il ne répondait plus qu'au nom d'"Atout". Pour la première fois depuis 1945, il avait véritablement eu l'impression d'exister à travers les yeux de quelqu'un d'autre.

Les deux assassins avaient rapidement compris que leur amour toujours grandissant pour l'autre contrevenait aux règlements de leurs organisations respectives et que si leurs supérieurs venaient à apprendre l'état de leurs sentiments, ils étaient destinés à finir avec une balle dans la tête. Les deux amants avaient donc fait le chose la plus stupide que des agents dans leur condition auraient pu faire : ils prirent la fuite.

Les six années de course effrénée que Bucky avait passées auprès de Natalia avaient été les plus belles dont il pouvait distinctement se souvenir. Leur vie de fugitifs avait été ardue, HYDRA et le KGB les avaient pourchassés jusque dans les recoins les plus reculés de l'Europe, mais toutes ces épreuves n'avaient fait que raffermir leur amour pour l'autre et leur désir intrinsèque de liberté. Ils jouissaient d'un bonheur qui leur avait longtemps semblé impossible à atteindre, un bonheur qui atteignit un nouveau paroxysme lors d'une douce journée de mai, lorsque Natalia lui annonça qu'elle portait son enfant.

LE MUTANT ET LE MONSTREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant