Pull & Push [sope]

Chapitre ni 29 ni 30 : Bébé

Il faisait un temps de merde ce dimanche. La tempête qui frappait Séoul apportait avec elle de grandes bourrasques glaciales et une pluie diluvienne. Même les arbres avaient peur de s'envoler.

J'avais laissé tomber le parapluie en partant de chez moi. Je me contentais de ma capuche alors que je m'avançais dans les rues désertes. Je serais bien resté sous la couette à dormir mais pas aujourd'hui. J'avais un rendez-vous à ne pas manquer, un rendez-vous que j'attendais depuis longtemps. Une opportunité.

J'arrivais au café que je lui avais indiqué par message. C'était un vieux bâtiment dont la peinture n'était plus très fraîche et dont l'enseigne mériterait un bon coup de nettoyage. L'endroit n'avait pas changé, juste vieilli, comme moi. Mais malgré tout, il était important. Il faisait partie du passé. Je ne l'avais pas choisi par hasard.

La cloche teinta lorsque j'entrais et le propriétaire des lieux releva la tête vers moi. Il me fixa quelques secondes puis son visage s'illumina lorsque je retirai ma capuche et me recoiffai correctement. Il m'avait reconnu.

Il me fit un grand sourire et un signe de la main pour me dire d'aller m'installer comme à mon habitude. Je m'inclinais respectueusement pour le remercier et partis rejoindre notre vieille banquette.

J'inspectais les coussins usés, les menus et serviettes en papier posés sur la table qui n'avaient pas changé. Le bois était même encore marqué par nos initiales. Je passais mes doigts dans les irrégularités qui formaient les lettres et me revis en train d'abîmer la table à 17 ans alors qu'il me suppliait d'arrêter avant qu'on se fasse repérer. Mais on ne s'était pas fait repérer et il avait beaucoup apprécié ce geste qui semblait romantique à l'époque. Maintenant ça me semblait juste idiot mais je ne pus réprimer la nostalgie qui m'envahit et soupirais. C'était là qu'on venait sans arrêt réviser avant d'être diplômés.

Quelques personnes étaient là malgré la météo, surtout des étudiants venant chercher un endroit calme et des glucides pour leurs révisions. Il fallait admettre que la cuisine ici n'était pas très bonne, les boissons assez quelconques mais les prix battaient toute concurrence.

- Mon garçon ! J'ai failli ne pas te reconnaître avec tes cheveux qui ont changé de couleur, dit-il de sa voix chevrotante.

Je lui souris poliment. C'était quand même étrange de revenir ici, j'avais l'impression de faire un saut dans le temps.

- Moi je vous ai reconnu tout de suite, l'embêtai-je.

Sa langue claqua devant mon insolence mais il ne m'engueula pas. Il y avait été bien trop habitué.

- T'es tout seul ou ton ancien camarade va aussi te rejoindre ? questionna-t-il curieux.

- Il doit venir, normalement.

Même moi je n'en étais pas complètement certain. Il était tellement imprévisible qu'il pouvait encore changer d'avis. Jusqu'au dernier moment, tout était possible. Il était capable de faire demi-tour alors qu'il serait devant la porte du café.

Le vieux acquiesça.

- J'attends qu'il soit là et je vous amènerai votre commande habituelle alors, réfléchit-il.

- D'accord, merci, souriai-je.

Il me laissa pour retourner derrière le comptoir. J'aurais bien discuté un peu plus longtemps avec lui. Ça me permettait de penser à autre chose et de ne pas me triturer le cerveau sur la suite des événements. Ce serait mentir de dire que je n'étais pas anxieux de me retrouver face à lui.

Mais en même temps, j'étais très excité. J'avais hâte de le voir, de pouvoir l'observer en détail et de m'assurer qu'il n'avait pas changé. Et entendre sa voix. J'avais très envie d'entendre sa voix grave.