Pull & Push [sope]

Chapitre 55 : Le chat et la cigarette

Allongé dans le canapé, je divaguais tranquillement dans cet état de transe à la limite du sommeil devant un film que je connaissais par cœur.

J'étais affreusement bien installé la tête à moitié dans le coussin, la télécommande que je n'avais désormais plus le courage de lâcher entre mes doigts, entouré des divines odeurs de cuisine. Je ne quitterais cette paix pour rien au monde.

Une paire de jambes, entrelacées aux miennes sous un plaid, gigotèrent jusqu'à disparaître complètement dans un courant d'air désagréable m'arrachant un grognement.

L'ordi de Yoon' et ses lunettes entrèrent dans mon champ de vision lorsqu'il les posa sur la table basse et je regrettais soudainement de ne pas avoir la volonté suffisante pour forcer mes muscles à se réveiller et à attraper sa main pour le tirer à moi et l'embrasser. Mes forces m'avaient abandonné et n'étaient pas décidées à revenir.

- Je vais me doucher, lança alors Yoon' en s'éloignant.

Mes sourcils se froncèrent une seconde, ne comprenant pas sa soudaine envie mais bien vite, le flegme de ma fin d'après-midi me rattrapa et coupa toute tentative de réflexion qui aurait pu importuner ma quiétude.

Le bruit de l'eau ne relança pas mes neurones. Ce fut mécaniquement que je me levais pour entrer dans la cuisine à reculons, les yeux toujours rivés sur l'écran. Je tournais quelques secondes dans la casserole qui mijotait.

Le geste était devenu machinal, tout comme le résultat. Cela faisait maintenant des semaines que Yoongi tentait de reproduire le bouillon de poulet de Madame Kim en ajustant chaque fois la recette qu'elle prenait grand soin de ne jamais lui confier entièrement. Un détail un après-midi, un autre un week-end et surtout beaucoup de provocation entre les deux à chacune de leurs rencontres avaient conduit à cette compétition et éveillé une rivalité culinaire entre eux.

Chose dont je n'allais absolument pas me mêler puisque j'en étais le principal bénéficiaire. Non seulement Yoongi passait son temps à cuisiner chaque fois qu'il le pouvait, et c'était énormément depuis la fin des partiels. Mais en plus, nous allions régulièrement au restaurant pour qu'il puisse comparer et asticoter Madame Kim en quête des secrets de sa fameuse soupe.

Seul bémol, j'en étais responsable pendant qu'elle mijotait. Il n'avait plus la patience de la regarder se transformer en un résultat décevant alors qu'il pensait avoir trouvé LA solution pour la rendre parfaite. Ce dont il n'avait pas encore conscience, c'était qu'à défaut de reproduire la soupe de Madame Kim, il était en train de créer sa propre soupe, unique et à son image, et son goût était de plus en plus sublime. J'en avais déjà l'eau à la bouche et je n'avais qu'une hâte, qu'on savoure celle-ci ce soir, bien au chaud dans le canapé.

Il réapparut dans la cuisine bien plus tôt que je ne l'imaginais, ou alors le temps était passé drôlement rapidement. Je lui abandonnais les fourneaux pour l'ultime dégustation après trois heures sur le feu et l'observais tremper une cuillère puis la porter à ses lèvres colorées par la chaleur de la douche.

Le son qu'il émit fut à la croisée d'un soupir et d'un grondement.

Il abandonna la cuillère pour fouiller son tiroir à épices et je m'en saisis rapidement pour goûter.

Incroyable.

C'était presque aussi divin que celle de Madame Kim. Un peu différent mais divin.

- C'est encore meilleur que la dernière fois, m'exclamai-je. Et je sais pas comment c'est possible !

Il m'ignora boudeur, déçu de ne pas trouver d'inspiration dans nos condiments et repartit dans le canapé où il s'affala, la tête toujours préoccupée par la casserole, en train de réfléchir à sa recette. Comme à chaque fois, je lui laissais le temps d'encaisser sa déception. Le moral reviendrait ce soir en la dégustant, accompagné de nouvelles idées.