Chapitre 3

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— Encore un peu, fit-il entre ses dents.

Perché à califourchon sur une branche massive, il tentait d'atteindre le nid d'un oiseau qu'il devinait gorgé d'œufs, à quelques mètres de là, en glissant progressivement et en grappillant centimètre après centimètre. La perspective d'une omelette offerte l'alléchait bien trop pour qu'il ne puisse jeter l'éponge ; en outre, il imaginait par avance la tête que feraient Lily, Sphinx et les autres lorsqu'il leur rapporterait un tel trophée. Ses cheveux roux s'agitaient à qui mieux-mieux tandis qu'il essayait de tendre le bras au maximum ; ses doigts ne firent qu'effleurer les deux premières coquilles, encore hors de portée. Avec une grimace, Akis se redressa quelque peu, soupira, et jeta un coup d'œil en contrebas.

Il valait mieux qu'il réalise ses prochains mouvements avec une précaution toute particulière : il y avait plus de trois bons mètres, sous ses pieds. Certes, une chute ne risquait pas de s'avérer mortelle, mais il ne pouvait pas se permettre de se blesser sottement alors qu'il s'était mis en tête de surprendre ses camarades ! L'humiliation risquait d'être cinglante s'il rentrait bredouille, un bras en compote... Une nouvelle grimace déforma momentanément son doux faciès, et il balaya les environs d'un regard empli d'appréhension. Et si d'aventure les propriétaires véritables de ce nid devaient reparaître au moment où il s'emparait de leur future progéniture ? Si des oiseaux commençaient à le tourmenter alors qu'il avait un équilibre aussi précaire, il ne donnait pas cher de sa peau...

Mais le plus dur était derrière lui : il en avait vu de toutes les couleurs pour escalader ce vieux chêne, et il ne se voyait pas capituler dès à présent. Aussi se fit-il violence, et continua-t-il à glisser sur l'imposante branche en prenant garde à soulever les fesses, en prenant appui sur ses mains ; il se souvenait encore trop bien de la dernière fois que son pantalon s'était déchiré à son insu, au niveau de son postérieur... Cela lui avait valu les moqueries de ses petits camarades pendant quelques jours ; et de combien d'autres individus, d'ailleurs ! Aville était un petit village, et les racontars y étaient semés en deux temps trois mouvements... A fortiori lorsqu'ils avaient le mérite de divertir les mégères, et de couvrir un gamin de ridicule.

Akis n'était pas vraiment n'importe qui, au sein d'Aville. Ses parents désespéraient de lui apprendre un métier : il n'était réceptif à aucun type d'enseignement, et aucun emploi ne semblait adapté à ses talents. En fait, il demeurait oisif la plupart du temps, même lorsque ses compagnons se rendaient à leurs boutiques et ateliers pour réaliser efficacement leur passage à l'âge adulte et leur entrée dans la vie active. Il était un pitre, le plus fameux d'Aville, et on considérait bien fréquemment qu'il était simplet. Une situation de laquelle il parvenait à se satisfaire, pour au moins deux raisons : d'abord parce qu'on lui prêtait grande attention, dans la mesure où il était semblable à une célébrité locale, et ensuite parce qu'aucun employeur sain d'esprit n'était du genre à lui proposer un petit boulot. En d'autres termes, il ne trouvait aucun travail, et personne n'était susceptible de le former. De quoi continuer à bayer aux corneilles sans que ses parents ne puissent rien trouver à y redire...

Alors qu'il progressait encore d'une dizaine de centimètres, il se figea et expira bruyamment afin de se donner un petit peu de courage. Son omelette était là, à portée de main ; il n'avait qu'à tendre le bras en veillant à conserver l'équilibre... Il sentit quelque chose bouger sur son dos, mais il ne s'en formalisa guère. Cela devait être Oscar, son Cydylaïn... Il s'agissait d'un caméléon, saurien de petite taille et doté de trois cornes. Le sien était particulièrement joueur, et avait par ailleurs fréquemment tendance à le plonger dans la tourmente, mais il était bien incapable de s'en séparer. Après tout, trouble-fête ou pas, il restait son plus fidèle compagnon...

Non sans un grognement, le rouquin entreprit de s'étendre de tout son long, au sommet de sa branche ; son équilibre se fit de plus en plus incertain à mesure qu'il tendait son bras, conservant une main précautionneusement plaquée contre son seul appui. Une seule pensée l'animait, à cet instant : ne pas regarder en bas...

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant