Chapitre 30

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Les membres de la Huitième Brigade Royale de Balhaan retrouvèrent coup sur coup la forteresse du Pic Zygos et leurs bonnes vieilles habitudes. Ils se remirent au travail comme un seul homme, sans laisser les circonstances exceptionnelles de leur voyage puis leur retour précipité bouleverser leurs efforts. On tint bien sûr Andrek, Nilly et Satin au courant du déroulement de la réunion, du tenant et des aboutissants prévisibles des propos qui y avaient été échangés ; chacun sembla s'apprêter à faire le deuil de son Cydylaïn tandis que l'atmosphère se faisait étonnamment studieuse. On considérait apparemment, et probablement à juste titre, qu'il s'agissait de l'une des dernières périodes d'une douceur clémente qu'ils allaient pouvoir vivre communément ; ensuite viendrait la guerre, avec ses troubles et ses affres, et l'Oracle lui-même ignorait quelles en seraient les funestes conséquences. Ainsi Akis s'employa-t-il à apprendre autant que possible auprès de ses camarades disposés à faire montre de patience à son endroit, tant pour avoir l'opportunité de se rendre utile lorsque sa présence serait requise que pour penser à autre chose qu'à l'éventuelle disparition d'Oscar.

Il fit de bons progrès là où on l'attendait le moins : en équitation et en cuisine. Passées les premières coupures qu'ils lui causèrent, les couteaux l'effrayèrent moins. Il apprit à s'en méfier et à les manier avec précaution ; ce qui lui permit par la suite de se focaliser sur l'apprentissage de recettes et de gestes techniques qu'il n'avait plus qu'à répéter machinalement. La cuisine au Pic Zygos n'était pas de la haute gastronomie : on cherchait plutôt à remplir les estomacs avec des aliments suffisamment divers pour qu'aucune regrettable carence ne menace d'éclater au grand jour parmi leurs rangs. Quant à l'équitation, l'aide d'Erik et d'Andrek fut évidemment inestimable : les deux hommes lui apprirent ainsi à chevaucher comme un véritable soldat, et le galop, bientôt, ne fut plus pour lui source de frayeurs insurmontables.

En revanche, il demeurait malhabile et couard épée au poing. Les gestes incisifs et brusques de Sora avaient tendance à le désarmer en un claquement de doigts. Les parades sèches et imprévisibles de Rolan le sidéraient toujours autant, et le contraignaient à déployer des efforts considérables pour seulement le forcer à bouger les pieds. Les offensives impitoyables de Malir le prenaient de court et le catapultaient souvent à terre, où il s'octroyait parfois quelques secondes d'un répit bien mérité.

Le froid, lui aussi, devint un compagnon auquel il parvint à s'accommoder. Il apprit à se vêtir en conséquence des activités auxquelles on le soumettait. Parfois, Oscar refusait de le suivre en dehors de la forteresse ; il le délaissait alors à regrets aux abords de la cheminée où le petit caméléon avait l'air de se plaire. Le rouquin essayait de profiter de ces maigres opportunités pour imaginer l'existence qui serait la sienne lorsque le Roi déciderait de faire de lui un véritable membre de la Huitième Brigade ; mais ces pensées le rongeaient souvent si ardemment d'une culpabilité et d'une honte vives qu'il finissait par tout tenter pour n'y plus penser, quitte à commettre pitrerie sur pitrerie pour attirer sur lui l'ire de ses pairs. Jade, notamment, semblait ne plus pouvoir souffrir sa présence. Elle s'était beaucoup endurcie depuis leur retour précipité de Corgenna, comme si elle cherchait à renvoyer sur autrui la frustration qu'elle avait accumulée au fil des pas de sa monture, à mesure que cette dernière l'éloignait de sa bien-aimée famille. Et comme nul autre qu'Akis ne semblait, au sein de la hiérarchie tacite de la Huitième, être à portée de critiques de son point de vue juvénile, elle saisissait souvent le parti condamnable de le prendre en grippe et de le sermonner.

Puis, alors que deux généreuses semaines s'étaient écoulées et que plus personne ne l'attendait, il arriva enfin. Un homme, enseveli sous une myriade de couches de peaux et de couvertures, chevauchant un destrier ailé et cornu, sans l'ombre d'un doute son Cydylaïn. Il s'invita de lui-même au sein de la cour de la forteresse où il déposa sa monture ; puis il jeta pied à terre en se débarrassant de plusieurs de ses vêtements de circonstances avant de frictionner énergiquement ses bras, dévoilant son identité sur-le-champ à Akis, Andrek et Sora qui s'approchaient d'ores et déjà de lui, les mines curieuses.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant