Chapitre 101

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Ajima s'était attendue à beaucoup de choses, lorsqu'un membre de la Onzième Brigade Royale était venu les trouver, elle et les siens, à quelques lieues de Corgenna, occupés à battre la campagne pour tenter de mettre le grapin sur les fugitifs dont on disait d'eux qu'ils ne tarderaient pas à investir la capitale et à venir en aide aux captifs. Elle s'était attendue à croiser le chemin de bon nombre d'habitants horrifiés, terrifiés de voir leur mirifique et éternelle cité devenir le théâtre d'affrontements dont les enjeux les dépassaient allégrement ; elle s'était attendue à voir çà et là des groupes de blessés se soutenir pour mieux s'en sortir, pris entre deux feux, victimes malheureuses d'une querelle injuste et égoïste, qui n'aurait jamais dû avoir lieu. Elle s'était attendue, bien sûr, à faire partie des retardataires, à ce que, par conséquent, un comité d'accueil se soit organisé pour tenter de lui barrer la route... A ce qu'elle ait à se salir les mains afin de faire valoir le respect des règles ancestrales, de la loyauté au Roi et à l'Oracle.

Elle ne s'était pas attendue, en revanche, à ce que la tignasse rousse de Mezagar serait la première sur laquelle elle aurait l'opportunité de déposer son regard.

Renfrognée, elle se rapprocha jusqu'à être à portée de voix ; ni plus, ni moins. Elle avait beaucoup de motifs de méfiance, en ce qui concernait cet illustre commandant, et elle préférait ne pas se précipiter à ses côtés tout en sachant pertinemment qu'il n'était pas là pour l'accueillir chaleureusement et lui servir le thé. A leurs côtés, leurs subordonnés se tendirent, les uns comme les autres. Aucun d'entre eux ne pouvait se réjouir à l'aune d'une lutte fratricide... surtout s'ils n'étaient pas assurés de pouvoir s'en sortir en un seul morceau.

— Je mentirais si je disais que je m'attendais à te croiser ici, Mezagar. Je ne te savais pas concerné par la destinée de ce Royaume.

— Pour quel inconséquent m'as-tu pris, Ajima ? répliqua-t-il d'un air faussement outré. Il serait irresponsable, de la part d'un commandant, d'opter pour la passivité...

— Moins irresponsable que de choisir le parti de parias, si tu veux mon avis.

— C'est ton avis, et je le respecte ! Je ne le partage simplement pas.

L'air sentencieux et tranchant d'Ajima se renforça lorsqu'il esquissa le sourire mordant dont il avait le secret ; il commençait à être sardonique, et elle n'aimait pas ça. Car l'heure n'était pas à la badinerie de bas étage... Il y avait simplement trop d'enjeux, trop de risques pour percevoir cette sordide affaire comme un sujet de blagues triviales. A fortiori tant que tout cela n'avait pas encore trouvé une résolution ferme et définitive.

Il en allait du destin du Royaume qu'ils avaient juré de servir.

— Vous allez vous entêter à nous barrer la route, c'est ça ?

— J'en ai bien peur...

— Nous n'allons pas avoir d'autre choix que celui de combattre, alors.

— Je ne m'en réjouis pas, répliqua-t-il avec un sourire qui laissa transparaître la nature mensongère de ses propos.

Il était un prédateur. Il l'avait toujours été. C'était grâce à ce talent si particulier, que bon nombre de citoyens perdaient dans les limbes de leur bonne conscience, de leur pudeur, qu'il s'était érigé comme un exemple à suivre au sein des Brigades Royales. Il était le symbole de l'âme guerrière, de la fierté belliqueuse, de la volonté de combattre pour défendre les siens, ses terres, ses biens. Mezagar incarnait tout ce pourquoi Ajima avait jamais voulu servir le Roi ; et elle se retrouvait dans cette situation inconfortable, à commencer à le haïr de s'entêter à ce petit jeu dangereux. Était-il incapable de comprendre que ses actions pouvaient engendrer de funestes retombées politiques... ou agissait-il en conscience, en sachant qu'il était activement en train de servir la cause du félon Nakata ?

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant