Chapitre 45

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— Les nouvelles ne sont... pas bonnes, entama Istios en affichant une mine déconfite.

Cette introduction, Lida l'avait pressentie autant que redoutée ; mais maintenant que le messager était dans son bureau et que Rolan, à ses côtés, assumait les intenses réflexions qui l'habitaient en lissant le bout de sa barbiche, non sans perplexité, elle n'avait d'autre choix que celui de faire front avec toute la solidité qu'on lui connaissait. Manifestement, la Huitième n'avait pas été la seule à essuyer les plâtres de cette entame de guerre ouverte entre Balhaan et Kale ; et même si cela avait pris un petit peu de temps, d'autres Brigades avaient eu l'opportunité de se rendre utile et de faire honneur à leurs réputations. Deux autres, en fait.

— Pour la Cinquième Brigade de la commandante Ajima, la bataille s'est... plutôt bien déroulée. La commandante a pris le parti de saboter le pont de la route de Placorenna pour ralentir les mouvements du bataillon de Kale. Grâce à cela, ils ont pu, elle et ses subordonnés, détruire la majorité des automates alors qu'ils tentaient encore de traverser l'Arontir ; elle n'a eu qu'à cueillir ceux qui ressortaient des eaux boueuses de la rivière et qu'à les pulvériser pour mettre un terme à leur bellicisme. Seuls trois de ses subordonnés ont écopé de blessures, modérées de surcroît. Ils s'en remettront. Pour la Neuvième Brigade du commandant Aristof, en revanche...

Lida retint un soupir, plus par bienséance que par enthousiasme. Les Brigades qui occupaient la frontière est du Royaume de Balhaan, en somme celle qu'ils partageaient avec le Royaume de Kale, n'étaient en fait que quatre. Tout au nord, la Neuvième Brigade du commandant Aristof ; puis, quelques centaines de kilomètres plus bas, aux alentours de la bourgade de Lupinova, c'était leur Huitième Brigade qui tenait son rang. En descendant d'encore autant, on tombait finalement sur la Cinquième d'Ajima ; puis, en repiquant vers l'ouest, à deux pas de la ville de Cigantia, qui se trouvait d'ailleurs plus près de l'Empire de Nibali que du Royaume de Kale, c'était la Sixième Brigade menée par la commandante Amilista qui veillait au grain. Quatre Brigades contre tout un Royaume ; si elle ne l'avait pas autant exécré, elle aurait pu louer le flair de Nakata, qui avait senti le vent tourner bien avant quiconque. Il avait toujours eu un instinct démesuré, force était de le reconnaître.

— Le commandant lui-même a été blessé. Bénignement, s'empressa de rajouter Istios avant que ses deux interlocuteurs ne s'en inquiètent excessivement. On ne peut pas dire que tous ses subordonnés aient eu autant de chance que lui. Veyrnal a été sévèrement touché. Sa vie n'est pas en danger, mais il va être alité un bon moment ; a minima une dizaine de semaines, selon les médecins dépêchés sur place.

Veyrnal, le second d'Aristof ; un homme aux allures rudes, mâles, de ceux que Lida avait toujours trouvés profondément rétrogrades. Il avait cette manière de s'adresser aux femmes qui laissait à penser qu'il n'en respecterait jamais aucune... ou peut-être la commandante l'imaginait-elle simplement parce qu'elle ne l'avait jamais entendu s'exprimer autrement qu'en aboyant des directives à ses sous-fifres. Une chose était sûre : malgré ses airs assez peu engageants, Veyrnal était un soldat capable, débrouillard, doté d'une sacrée tête froide, que son vingt-et-unième rang au classement des Brigades honorait. Que les automates aient pu l'atteindre prouvait, s'il fallait encore qu'ils le fassent, qu'ils incarnaient un réel danger pour quiconque brandissait l'étendard de Balhaan. En dehors d'Aiz, le second d'Aristof était, à n'en pas douter, le mieux bâti des soldats du Royaume...

— Ce n'est pas tout, se rembrunit soudain Istios. Vitali, Massin et Truf, trois des anciens apprentis de la Neuvième, ont perdu la vie au cours de la bataille. Kaxi, elle aussi, est alitée jusqu'à nouvel ordre. Elle a frôlé la mort.

Aucun des véritables membres de la Neuvième n'avait passé l'arme à gauche, ce qui permettait à Balhaan de ressortir officiellement vainqueur de cette escarmouche-ci également ; mais à quel prix ? Le tribut était lourd à payer, si Aristof était dorénavant incapable de compter sur deux de ses plus fidèles subordonnés ; en outre, la perte de trois apprentis était, aux yeux de Lida, aussi intolérable qu'inestimable. Elle se retint de jurer ; Rolan n'eut pas tant de pudeur.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant