Chapitre 99

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De l'un des coups de poings dont il avait le secret, Aiz pulvérisa deux des statues d'argile que Vivel avait envoyé dans leur direction afin de dégrossir leurs rangs. Il ne se sentait pas menacé par les soldats de terre cuite de son homologue commandante... mais il comprenait que les silhouettes qui, dans l'obscurité lointaine, épiaient le moindre de leurs faits et gestes, pouvaient incarner une menace autrement plus conséquente. Les subordonnés de la plus jeune des commandants s'étaient joints aux créations innombrables de leur supérieure, et attendaient simplement une ouverture, une maladresse à exploiter afin d'oblitérer violemment leurs espoirs de tous s'en tirer en un seul morceau. La tâche de l'Orphelin était ainsi plus que périlleuse : il devait tout à la fois tâcher d'éliminer le gros des soldats qui ne cessaient d'affluer et éviter de trop s'éloigner d'Erik ou de Jade, lesquels auraient instantanément pu revêtir les atours de proies accessibles et alléchantes.

Ni le quadragénaire, ni l'ancienne apprentie, pourtant, ne désespéraient à ses côtés. L'un comme l'autre avaient bien compris que leur vie ne tenait plus qu'à un fil, et que ce dit fil pouvait être globalement résumé à un calcul de coût-bénéfices, mais ils avaient également conscience qu'ils servaient de remparts au reste de leurs partenaires, demeurés en retrait pour préparer leur fuite. S'ils tombaient, l'Esplanade ne tarderait guère à être investie d'ennemis de natures diverses ; le surnombre jouerait alors en leur défaveur et, sans pouvoir compter sur le concours des murailles, qui leur garantissaient tout de même de ne pas voir nombre d'adversaires affluer depuis leurs flancs ou leurs arrières, ils seraient prompts à connaître un trépas aussi brutal que prématuré.

Pour Erik, l'affaire était délicate, donc ; mais pas impossible. Ses expirations fréquentes demeuraient hachées, vives. Il évitait de se pousser à court de souffle, dans la mesure où les soldats de terre cuite déployés par Vivel n'étaient pas aussi résilients que les automates du Royaume de Kale. Un coup frontal suffisait à les effriter, à les faire retourner à l'état de poussière. Leur nombre invraisemblable, bien sûr, les transformait en une marée invincible et mortifère ; mais tant qu'ils parvenaient à tenir leurs positions et à éviter d'être blessés sottement, le combattant aguerri avait la certitude qu'ils pourraient continuer à gagner du temps. Il comptait, bien sûr, sur le concours de la jeune Jade pour que cela persiste ainsi ; et force était d'admettre qu'elle mettait à leur service toute sa fougue.

Deux nouvelles piques s'élevèrent, fracassèrent des rangées entières de ces soldats inorganiques, rendant au plus expérimenté des trois résistants un sourire flamboyant. Il était rassérénant de constater que la nouvelle génération se levait encore plus prématurément et plus puissamment que la précédente. Finalement, ils allaient peut-être avoir une chance de goûter au plaisir d'une retraite franchement méritée, Rolan et lui...

— Attention ! glapit Jade en pointant du doigt l'un des subordonnés de Vivel, positionné sur le toit d'une bâtisse.

L'homme, armé d'une arbalète, tenait le quadragénaire en joue ; quand le carreau partit, il le fit en sifflant, porté par un élan formidable. Son pouvoir devait permettre à ses projectiles de s'avérer encore plus dangereux qu'à l'accoutumée ; mais grâce à l'avertissement de la Delistel, dont la vision était plus qu'honorable, Erik parvint à déployer devant lui une épaisse couche de nuages qui le prémunit contre cette agression potentiellement mortelle. Le carreau claqua contre son bouclier à l'aspect cotonneux, s'y brisa ; et il leva son pouce en direction de la demoiselle, de façon à la remercier pour sa prévenance.

— Il va falloir qu'on recule, maugréa tout de même Aiz. Il a raté son coup pour cette fois, mais... qui sait si le prochain ne fera pas mouche.

Avec une aisance aberrante, il empoigna l'un des pantins d'argile et l'utilisa pour cogner sur ses cinq ou six voisins ; puis il amorça un repli en continuant à toiser de son regard alerte le moindre des agissements de leurs adversaires. S'ils arrivaient à se retrancher derrière les remparts, ils pourraient utiliser la solidité des murs à leur avantage. Les portes ouvertes formeraient un goulet au travers duquel les ennemis se répandraient en une nuée limitée... Il serait plus aisé de leur régler leur compte sans craindre d'être tôt ou tard complètement encerclé. En revanche, si certains des partisans de Vivel étaient en mesure de contourner les murailles, ils seraient libres d'agir ainsi ; parce que se tenir derrière ces portes nuirait nécessairement à l'amplitude de leur champ de vision.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant